Plongez dans de Jolies ténèbres !
On se croirait dans un conte enfantin, aux ambiances tendres et fruitées : il est question d’un thé pris en pleine nature par un gentil petit couple. Pile au moment où l’on s’apprêtait à refermer l’album, croyant par erreur avoir saisi un livre destiné aux moins de 7 ans, l’histoire dérape et l’atmosphère s’assombrit. Aurore, mignonnette héroïne qui cherche à faire le bien, est en fait l’un des multiples personnages bizarroïdes qui peuplent… un cadavre de fillette, échoué dans la forêt. Tout ce petit monde s’aime ou se déteste, agit sans but et décède à tour de bras. Avec un sens de l’étrange ravissant, le duo Kerascoët – alias Marie Pommepuy et Sébastien Cosset, dessinateurs de la série Miss Pas Touche, dont nous avons récemment visité l’atelier – livre un ouvrage magnétique. Pour accoucher de ce récit original, les auteurs se sont alliés à Fabien Vehlmann, le scénariste du Marquis d’Anaon et des Cinq Conteurs de Bagdad, et repreneur de Spirou et Fantasio. Ils reviennent sur cette création.
Comment est né Jolies Ténèbres?
Kerascoët : Tout est parti d’une série de notes prises par Marie, qui avait une idée très claire du pitch : un cadavre humain sert de théâtre à l’histoire, de petits personnages en sortent, évoluent dans la nature, survivent – ou pas. Fabien Vehlmann décrit cela comme une sorte de Lost [la série télé] avec un corps de petite fille à la place de l’avion !
Fabien Vehlmann : Je connaissais les Kerascoët par Hubert, un ami assez proche. J’avais lu Miss Pas Touche, mais pas Donjon. Et puis un jour, au cours d’une discussion, Marie a évoqué le projet Jolies ténèbres. Elle avait en tête la séquence d’ouverture, qui mélange un monde très enfantin à des éléments morbides. On retrouve ce mix dans beaucoup de mes BD, j’aime bien nager dans ces eaux troubles. Les croquis de petits personnages que m’ont ensuite montrés les Kerascoët étaient enthousiasmants, utilisant un trait à la fois graphique et réaliste. Du coup, je leur ai proposé d’être « script doctor ». Je sentais que Marie tenait quelque chose d’important, de très touffu, et qu’elle n’arrivait pas à se lancer seule. Je suis devenu « scénariste maïeutique », comme le dit Benoît Mouchart [directeur artistique du Festival d’Angoulême, entre autres auteur de À l’ombre de la ligne claire] de Jacques Van Melkebeke [collaborateur d’Hergé].
Concrètement, comment êtes-vous intervenu ?
F.V. : Ça a commencé par des discussions avec Marie, pour débroussailler les choses. Elle avait beaucoup d’idées, mais je lui conseillais d’en garder certaines pour d’autres projets. Elle aurait aimé faire voyager ses personnages, tandis que je tenais à garder une unité de lieu. Le cadavre de la petite fille est un décor très fort, qu’il était important d’utiliser pleinement. Mon rôle a ensuite consisté à mettre sur papier ce dont on décidait à l’oral, en proposant des dialogues. L’humour macabre était déjà présent dans le projet initial de Jolies Ténèbres, je l’ai juste prolongé.
Votre livre a pour thème la mort…
K. : Nous nous sommes interrogés sur la façon dont elle est montrée, de façon générale, dans les films, les romans… Généralement, on y trouve le concept de mort « utile », qui sert à quelque chose, fait avancer l’intrigue. Nous avons choisi de prendre le contre-pied de cela : dans notre album, on trouve à la fois un cadavre humain réaliste – troublant et choquant car on ne sait rien de lui -, et des décès violents dont on se fiche complètement, puisqu’on ne connaît pas les victimes. Notre héroïne est une espèce de princesse de conte de fées qui se retrouve confrontée à la réalité : elle est obligée de faire des choix difficiles. Cela nous permet d’évoquer l’apprentissage de la cruauté, l’obligation de perdre son innocence pour pouvoir survivre. Pour imaginer tout cela, nous nous sommes souvenus de notre façon de nous comporter avec les autres quand nous étions enfants. Nous avons relu Sa Majesté des mouches de William Golding, vu Récréations de Claire Simon, eu des discussions autour de l’injustice…
F.V. : La thématique de la cruauté s’est imposée – elle était d’ailleurs déjà présente dans Miss Pas Touche. On suit un personnage candide, généreux et légèrement tête à claques, qui prétend s’appeler Aurore et va s’en prendre plein la gueule. Je sais que cet album va générer des réactions radicales : certains vont trouver cela vain, d’autres attendront la résolution d’un mystère et seront déçus. Car il s’agit d’un récit onirique, qui n’a pas forcément de chute, même si on raconte une histoire avec un début et une fin.
N’y a-t-il aucune résolution de mystère dans cet ouvrage?
K. : Nous ne nous sommes pas mis d’accord sur une « vérité » commune concernant Jolies Ténèbres. Il y a en a autant que de co-auteurs, à savoir trois. Aucun de nous n’a tranché l’identité du cadavre, pour ne rien nous interdire. Ainsi, le lecteur en sait autant que nous et peut lui aussi se faire son propre film dans sa tête.
F.V. : Même si ce que j’écris reste en général assez sage, je me méfie des robinets d’eau tiède. Être consensuel se révèle pratique pour gagner sa vie, mais je crois que les lecteurs aiment être surpris. La preuve, mon one-shot Les Cinq Conteurs de Bagdad a rencontré un succès étonnant ! Personnellement, je préfère détester une BD plutôt que l’oublier tout de suite. Les Kerascoët et moi avons donc pris le risque de dérouter le public. Il ne s’agit pas d’une posture visant à choquer à tout prix, mais d’une volonté d’explorer certains tabous, comme celui d’une enfant morte ou d’un corps qui pourrit. C’est le rôle des créateurs de traiter de ce qui gêne et met mal à l’aise. Les Kerascoët sont des artistes très rapides et réactifs, qui guettent les clichés et refusent les déjà-vus. Alors que je suis plus à l’aise avec les grosses ficelles, que j’utilise sans problème afin d’obtenir une « littérature foraine », émaillée de cliffhangers, qui emmène le lecteur sur des montagnes russes.
À partir de quel âge peut-on lire Jolies ténèbres ?
K. : Aucune idée ! C’est plutôt une question de sensibilité. Il s’agit d’une bande dessinée à plusieurs niveaux de lecture, qui ne se révèle pas tellement plus cruelle que certains contes pour enfants.
Cet ouvrage est peuplé de nombreux animaux représentés de façon réaliste…
K. : Ce fut un vrai plaisir de les dessiner ! Nous nous sommes beaucoup documentés, avons utilisé des photos, des livres naturalistes. L’histoire colle aux saisons qui passent, ce qui nous permettait de créer des ambiances radicalement différentes les unes des autres. Nous nous sommes aussi amusés à utiliser des designs très différents pour les personnages. L’éventail graphique de notre duo a été déplié : un dessin assez réaliste pour Sébastien, et un trait plus lâché, entre celui du manga et de Sempé, pour Marie.
L’album a-t-il trouvé un éditeur facilement ?
K. : Celui de Miss Pas Touche, Dargaud, voulait publier l’histoire en deux tomes, ce qui ne collait pas à notre envie. Nous ne souhaitions pas induire un faux suspense, donner au lecteur l’impression qu’il y aurait un dénouement dans la deuxième partie du récit. Fabien Vehlmann, ayant un pied bien ancré chez Dupuis, nous a conseillé d’y aller. Et nous avons eu carte blanche !
Cela vous incite-t-il à retravailler ensemble ?
F.V. : Oui, nous avons un autre projet tous les trois : un récit à la Jules Verne, façon Voyage au centre de la terre.
Propos recueillis par Laurence Le Saux
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Jolies Ténèbres.
Par Kerascoët et Fabien Vehlmann.
Dupuis, 16 €, le 6 mars 2009.
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Voir la bande annonce de l’album par ici.
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tres bravooooooo
c est un joli couleur-dessin et aussi tres interressant le scenario ………je suis triste t egoister interwier http://www.expressbd.com/vehlmann-spirou.html tres dommage je suis sourds-muet svp tu me donne texeter fredyvauthey@hotmail.com amitie -
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