Avant de s’installer avec sa famille à Berlin (dans le monde « civilisé », comme il se plaît à ironiser), le Libanais Mazen Kerbaj a longtemps vécu à Beyrouth. Là-bas, dans des publications diverses (notamment via son blog), il a longtemps porté un regard critique, voire acerbe, sur son pays et ses problèmes insolubles : l’intolérance religieuse, la violence armée, le puritanisme, l’esclavage moderne, la corruption des élites libanaises, et le peu d’espoir de jamais voir les choses changer. Cet album est un recueil de strips inédits, publiés entre 2005 et 2018.

De manière générale, les histoires courtes fonctionnent comme des « private joke », à grands coups de cet humour noir dont le dessinateur libanais est coutumier, et qui fait mouche. On remarquera au passage, lorsqu’il tourne en dérision le regard des Européens sur le Moyen-Orient, une proximité avec l’acidité de l’humoriste libanais Karl reMarks.

Mazen Kerbaj a indéniablement du talent, et de l’humour. Mais pour des non-Libanais qui n’auraient pas un minimum de bagage culturel sur le Liban ou la politique internationale, pas mal de blagues sont incompréhensibles. Son style, inspiré du cubisme, opte pour un minimalisme alternatif, et sa ligne claire (qui devient parfois plus tremblée) n’est pas toujours facile d’accès. Sans compter que le fil directeur de ce recueil, qui tient plus du florilège, manque quelque peu de tenue.

Un public averti se délectera malgré tout de cet album, qui a le mérite de rassembler la production, un peu erratique, d’un artiste original qui gagne à être connu.