Portrait d’un buveur
Guy est un pirate, un charpentier, un chanteur occasionnel, un pickpocket pas maladroit. Mais surtout, Guy est un alcoolique de haute voltige et une sacrée ordure. Un sale type, prêt à tout pour mettre la main sur une grosse bouteille ou un joli magot. À tout, vraiment. À malmener un enfant ou à trancher la gorge de son bienfaiteur. Guy, ce n’est pas votre meilleur ami.
On attendait beaucoup de l’association entre le duo Ruppert & Mulot et le Belge Olivier Schrauwen. Car les premiers nous ont habitués depuis 14 ans (de Safari Monseigneur à Soirée d’un faune, en passant par La Grande Odalisque avec Bastien Vivès, Irène et les clochards, Famille royale ou Un cadeau) à des récits absurdes et audacieux, puisant dans l’expérimentation formelle la sève d’univers puissants et déstabilisants – et inversement. Et car le second, depuis L’Homme qui se laissait pousser la barbe jusqu’au jouissif Vies parallèles sans oublier le splendide Arsène Schrauwen, a construit un monde étrange, lui aussi absurde et volontiers grotesque, jouant, comme Ruppert & Mulot, avec sa propre image d’auteur de BD non bankable. Hélas, ce Portrait d’un buveur oscille entre le possiblement brillant et le tout à fait décevant. Tour à tour parodie éthylique de romans de piraterie, jeu de (dé)composition de l’action et du récit dans l’espace de la double-page, visions fantasmagoriques du corps déliquescent, distorsion à l’extrême de la figure du héros, cet épais album aux tons de bleu et de rose délavés semble trop souvent tourner à vide. Les séquences s’enchaînent et, malgré une certaine virtuosité dans le trait et la mise en scène, elles se répètent selon le même schéma, lassant : Guy s’incruste quelque part (un palais, un troquet, un navire) et fout la pagaille, jusqu’à en tirer les fruits.
Bien sûr, certains passages sont épatants – le delirium post-tempête de Guy est très excitant – mais ils ne suffisent pas à remplir les lacunes d’un scénario trop vide. Même les dialogues, d’ordinaire si caustiques chez les trois auteurs, paraissent bien plats. On devra alors se contenter de belles expérimentations graphiques, jouant sur le motif, l’éclatement des cases, les couleurs baveuses ou denses, et de quelques saillies d’un antihéros vraiment repoussant. Mais ça n’est pas tout à fait suffisant. Est-ce parce que leur démarche artistique personnelle était trop proche que Schrauwen et Ruppert & Mulot n’ont pas réussi à trouver une troisième voie autre que cet entre-deux mollasson ? Difficile à dire. Quoi qu’il en soit, le résultat n’est pas à la hauteur de leurs livres précédents. Une petite erreur de parcours.
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Simplement pour dire que ce livre est LA grosse claque de ce début d’année, et qu’à mon humble avis vous êtes tout simplement passé à coté. Jouissif de bout en bout, ce Portrait d’un buveur est d’ores et déjà l’un des meilleurs crus de 2019, à n’en pas douter… Tout sauf lassant, tout sauf une petite erreur de parcours, mais une œuvre d’une insolente virtuosité qui ne pouvait par conséquent aboutir à un consensus. Le génie est là, dans la capacité à proposer quelque chose de différent sans chercher à plaire à tout le monde, et réussir à imposer une vision, celle du chaos engendré par l’alcoolisme d’un pourri (dont on ne saura jamais s’il est excusable ou non). Si le chef d’œuvre n’est pas loin, le tour de force est quant à lui évident. *****
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