Pratt fait escale à Lyon
C’est l’une des meilleures surprise en termes d’exposition de bande dessinée depuis longtemps, et elle n’est pas due à un lieu spécialisé dans le 9e art. « Hugo Pratt, lignes d’horizons », au Musée des Confluences de Lyon, confronte les planches originales du créateur de Corto Maltese avec des objets exotiques, dans une scénographie spectaculaire mais propice à la découverte.
On aurait pu croire à un prétexte : prendre l’oeuvre de Pratt comme un faire-valoir, pour mieux mettre en avant les collections du Musée des Confluences, composées telles un immense cabinet de curiosités d’objets disparates et d’animaux naturalisés du monde entier. Il n’en est rien et ce serait même presque l’inverse. En effet, les objets du musée sont au service des planches et aquarelles d’Hugo Pratt, montrant ainsi le soin documentaire que l’auteur apportait aux aventures de Corto Maltese, et soulignant aussi son goût pour le voyage. « Le voyage pour le voyage », d’ailleurs, et non pour la destination, disait d’ailleurs l’auteur italien qui vécut en Éthiopie et Argentine notamment.
L’exposition s’ouvre une salle lumineuse, présentant rapidement des éléments biographiques, des planches, des recherches, des aquarelles, pour poser le parcours de Pratt et les racines de Corto Maltese. Ce fils d’une gitane et d’un marin britannique, à l’élégance folle, est né à la fin des années 1960 dans le magazine Sgt. Kirk (dont des exemplaires sont montrés en fin d’expo) avant de prendre son essor dans l’album La Ballade de la mer salée en 1975, véritable roman graphique avant que le terme ne soit inventé. L’exposition dévoile aussi quelques planches de Ann de la jungle, BD d’avant Corto, dans laquelle on décèle l’influence importante du dessinateur américain Milton Caniff sur le trait de Pratt. Quelques pages et strips de Caniff (Steve Canyon), superbes, sont également exposés.
Puis on prend la mer. Dans une pénombre toute muséale, dans laquelle les planches accrochées sont parfaitement éclairées, sans reflet, on parcourt les continents, l’Océanie, l’Amérique du Sud et du Nord, le Grand Nord, l’Afrique… Des reproductions de cases de Corto Maltese en format géant, exploitant l’immense hauteur sous plafond du musée, créent des cloisons entre les espaces, tout en immergeant le visiteur dans ce voyage autour du monde, à la fois palpitant, romantique et vertigineux. Les planches de La Ballade de la mer salée, Les Éthiopiques, Sous le signe du Carpicorne, Corto toujours un peu plus loin, Wheeling, La Maison dorée de Samarkand, ou Mu s’enchaînent, avec régulièrement, en regard, un masque rituel, une maquette de navire, une coiffe indienne, une tête réduite jivaro. Ou cet étrange bouclier de Papouasie Nouvelle Guinée, datant de l’après-guerre et peint aux couleurs du personnage du Fantôme de Lee Falk, qui avait inspiré Pratt en début de carrière. Mention spéciale à la mise en scène des armes (arc, hache, boomerang, etc.) placées devant des agrandissements de cases bien choisies. Et devant certains aquarelles et recherches de personnages et d’ambiances, pas si éloignées des carnets d’un ethnologue, on comprend d’autant mieux l’intérêt d’exposer les oeuvres d’Hugo Pratt dans un tel musée.
On croise aussi un scaphandre soviétique et une marionnette vénitienne, issus de la collection d’Hugo Pratt lui-même. Un peu plus loin, on s’arrête devant des vitrines qui ne s’éclairent que sporadiquement, laissant entrevoir au visiteur patient un objet en lien avec le dessin reproduits sur sa vitre – hache, vêtement, poupée… Un procédé ludique jouant malignement la carte du mystère. Ludique aussi est cette large table circulaire, qui dessine de manière interactive – il faut touches les bulles – une géographie des personnages croisés par Corto Maltese lors de ses voyages.
Le parcours s’achève avec un film et quelques images encore, et surtout une large collection de revues dans lesquelles Hugo Pratt travailla à des BD ou des planches pédagogiques pour présenter les peuples du monde. La cerise sur le gâteau pour une exposition riche, dévoilant des originaux de toute beauté au sein d’une superbe scénographie. Un événement qui complètera parfaitement le prochain festival Lyon BD à venir. Et même au-delà, puisqu’il dure jusqu’en mars 2019.
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Hugo Pratt, lignes d’horizon.
Au Musée des Confluences, à Lyon.
Jusqu’au 23 mars 2019.
Ouvert du mardi au dimanche, de 11h (10h le week-end) à 19h (22h le jeudi).
Plein tarif: 9 €.
Visiter le site dédié.
Photos © BoDoï – Dessin d’Hugo Pratt © CONG SA
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