Production BD 2013 : ça se tasse…
« 2013, l’année de la décélération ». C’est ainsi que s’intitule le rapport annuel de Gilles Ratier, secrétaire général de l’ACBD (Association des journalistes et critiques de bande dessinée), sur la production de bandes dessinées sur le territoire francophone européen.
S’appuyant sur une recension fine des sorties d’albums de BD, de comics, de mangas, de revues, d’ouvrages sur le 9e art, à partir de sources fiables (Electre, Livres Hebdo, réseaux Canal BD/Album…), Gilles Ratier et son équipe brossent un tableau fidèle de la production BD de l’année, qui a vu son nombre total de sorties diminuer de 7,3%, à 5129 livres. Ce chiffre se divise en 3892 strictes nouveautés, 880 rééditions, 298 artbooks, et 89 ouvrages sur la bande dessinée.
Parmi les « vraies » nouveautés, les catalogues franco-belges et asiatiques font quasiment jeu égal, avec chacun 40% des titres publiés; les comics progressent à leurs dépens, dépassant désormais 10% de la production; le reste étant à classer dans la famille fourre-tout des « romans graphiques et livres expérimentaux ». Au total, on notera que le marché français est friand de BD étrangères: 2257 nouveautés traduites ont été recensées en 2013, principalement mangas et comics, bien sûr. Sur ce point, on constate que le marché du manga, bien que toujours vivace, recule (en production) un poil plus fort que les autres, et qu’il est porté par dix locomotives (avec toujours le trio de tête Naruto, One Piece et Fairy Tail), qui assurent ensemble la moitié des ventes de mangas ! Côté comics, le succès de Walking Dead ne se dément pas (2 tomes tirés à 120 000 et 100 000 exemplaires), tout comme celui des dérivés des Simpson et de Garfield. Les super-héros de Panini et Urban Comics sont très loin derrière.
Gilles Ratier constate par ailleurs que les tirages annoncés des blockbusters (supérieurs à 50 000 exemplaires) continuent de baisser, le contingent des tirages entre 20 000 et 50 000 augmentant, et assurant une certaine santé du secteur. Le rapport ne dit rien en revanche sur tous les autres petits tirages… et surtout sur les ventes réelles. Il est en effet trop tôt pour disposer des chiffres 2013, notamment du dernier trimestre qui assure en général plus du tiers des recettes de l’année. Néanmoins, d’après Livres Hebdo, les ventes se tassent de 2% sur les neuf premiers mois de l’année. Pas sûr que les nouveaux Astérix (2,48 millions d’exemplaires), Blake & Mortimer (445 000) ou Le Chat (350 000) suffisent à remonter le moral des éditeurs.
Concernant les éditeurs justement, sur la base des chiffres de vente 2012 cette fois, quatre groupes continuent d’écraser le marché BD: Média Participations (avec Dargaud, Dupuis, Le Lombard, Kana, Lucky Comics, Blake et Mortimer, Urban…) pèse 26,2% du marché; Glénat se classe deuxième avec 17,3%; Delcourt (avec Soleil et Tonkam), le plus gros producteur, suit avec 16,5% de parts de marché; Gallimard-Flammarion (dont Futuropolis, Fluide Glacial, Casterman) affiche 9,8%. Mais 2013 pourrait bousculer la hiérarchie: dans un communiqué postérieur au rapport, le groupe Delcourt, se basant sur des chiffres Gfk pour 2013 (hors décembre), annonce être le deuxième éditeur de BD en France devant Glénat, avec 16,86% de parts de marché en chiffre d’affaires et 15,30% en volume.
Autre chiffre intéressant, mais dont la fiabilité est toutefois relativisée par le rapport lui-même: 1492 auteurs d’Europe francophone réussiraient à vivre de leur travail (1510 l’an passé), et 1678 créateurs ont sorti au moins un livre cette année (contre 1951 en 2012)…
Au final, en attendant les chiffres de ventes pour 2013 – dont il faudra scruter le détail, car les quelques bestsellers comme Astérix enjoliveront le tableau global –, il apparaît que le marché de la bande dessinée subit le ralentissement général de l’édition, un peu plus que certains (comme la jeunesse ou le poche), un peu moins que d’autres. Que les tirages baissent, que les auteurs et libraires spécialisés vivent moins bien, que l’offre numérique est toujours famélique, et que les groupes d’édition se concentrent pour résister. Il est donc probable qu’il y ait encore un peu de casse en 2014.
Ça, ce sont les mauvaises nouvelles. Mais si on veut voir le verre à moitié plein, et rester optimiste pour 2014, on peut se dire qu’un peu plus de sélectivité éditoriale et donc un peu moins de bouquins en librairies pourraient laisser leur chance aux autres, que les très bons livres (grâce au travail des libraires, des éditeurs et de la presse) trouvent souvent un moyen d’émerger (plus de 50 000 ventes pour Mauvais Genre, c’était pas gagné pour un livre évoquant le destin d’un déserteur de 14-18 qui se travestit en femme et y prend goût, n’est-ce-pas?) et que de nouveaux éditeurs continuent d’apparaître, et avec eux des projets originaux soutenus à fond par des professionnels passionnés.
Allez, on croise les doigts, on lit BoDoï pour savoir quoi acheter, on prend la bonne résolution de fréquenter son libraire de quartier le plus souvent possible et on essaye de garder le sourire ! Bonne année 2014 à tous !
Le rapport complet, avec plein de chiffres et de détails, est disponible sur le site de l’ACBD.
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