Prof. Fall
Michel est employé à la Sécu, où il archive des papiers toute la journée. Rien de compliqué ni de trop prise de tête pour ce diplômé en histoire, qui semble s’être résolu à n’avoir aucune ambition. Son boulot rébarbatif, son collègue graveleux, ses soirées mornes devant la télé et Internet, il les supporte, voilà tout. Le truc qui le chiffonne, qui l’obsède même, c’est cet immeuble du quartier de la Part-Dieu à Lyon, devant lequel il passe quotidiennement. Une barre immense, toute en béton, de laquelle il s’attend à chaque instant à voir tomber une femme, qui s’écraserait au sol devant lui. Ces visions persistent, à faire tanguer son esprit. Et elles prennent corps dans des rêves et des visions dès lors qu’il croise la route d’un malfrat, qui justement se défenestrera de cet immeuble quelques heures après leur rencontre fortuite. Dès lors, Michel tombe dans la paranoïa et enquête sur un trafic de diamants et d’êtres humains entre Lyon et l’Afrique, en avalant un dangereux cocktail d’alcool et de médicaments…
Ivan Brun n’avait pas publié de longue BD depuis le mémorable et dérangeant War Songs. Le revoilà dans l’adaptation d’un roman underground qui sied parfaitement à son style noir et son regard lucide et acide sur le monde mondialisé. Car en collant aux basques de son antihéros – type falot et renfermé, à tendance dépressive et potentiellement schizophrène –, il décrit aussi bien la misère affective d’un vieux garçon, la trajectoire de SDF squattant sur les rives de la Saône, celle des prostituées africaines oeuvrant non loin à l’arrière de leur camionnette, et plus largement les guerres civiles africaines et la filière des diamants du sang. Tout en conservant une trame de polar paranoïaque vertigineux, où la frontière entre la réalité et les hallucinations de Michel se fait de plus en plus mince à mesure que se déploie l’album. Un livre long et éprouvant, comme un interminable cauchemar à demi-éveillé, dans lequel Ivan Brun démontre un talent rare de mise en scène, avec un trait brut et une bichromie brune, jouant sur des images choc sans tomber dans le voyeurisme gratuit. Encore une belle réussite des éditions Tanibis, qui sortent là un des livres les plus forts et troublants de leur catalogue.
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