Prokon
Bienvenue à Prokon, royaume de PROduction et de KONsommation, ville heureuse où chacun peut consommer à l’envi. Le chômage n’y existe pas, les produits sont séduisants, les gens sont beaux… Bref, le bonheur à l’état pur encapsulé dans un Eden capitaliste. Oui mais voilà, dans une forêt lointaine, le fou et mégalo docteur Dracenstein a prévu d’en faire table rase grâce à un fluide révolutionnaire. Son objectif, semer le chaos pour sauver Prokon…
Publié en 1971, cette bande dessinée signée du norvégien Peter Haars est pour la première fois traduite en français chez l’éditeur Matière. Magnifique initiative car rares sont ceux à l’avoir déjà lu. Dans ce pamphlet contre la société de consommation, Peter Haars singe le récit de super-héros et raille le capitalisme en brassant les formes. Utilisant les codes de la publicité, il revisite à sa manière le Pop Art de Roy Lichtenstein. L’idée ici : entrer naïvement dans le système pour mieux le faire exploser. Du coup, le ton, évidemment sarcastique, embraye d’abord sur le mode du nanar à l’innocence béate : « Nous produisons nos propres besoins : nous formons une grande famille heureuse dans une société libre ». Avant de jouer la partition du comics de super-héros toujours plus loufoque.
La forme, une esthétique subversive débordante d’énergie qui interroge la place et le statut de l’image, fourmille d’inventivité grâce à des assemblages/collages percutants : onomatopées criardes, slogans outranciers, typographie dépouillée, gros plans et trames foncées se répondent pour célébrer la vanité d’un monde voué à disparaître, tandis que cadrages et perspectives achèvent de donner le tournis. « Les ménagères, les cadres, les jeunes », pantins sans vie d’un système ventriloque, offrant alors un modèle unique et normé, celle d’une perfection de comptoir. Car Peter Haars a bien compris que c’est en mimant la beauté et l’affichage publicitaire qu’on en révèle tout le ridicule. Intelligente fable caustique, Prokon est donc le genre de trésor caché à lire de toute urgence, avant l’avènement du chaos…
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