« Quand Gillain raconte Jijé », indispensable monographie
Jijé est le premier pilier de l’école de Marcinelle, et le maître marquant d’une génération d’auteurs : Franquin, Morris, Will ou Moebius ont été ses élèves, excusez du peu ! Depuis plusieurs années, celui qui fut le quatrième grand prix de la ville d’Angoulême est largement remis sur le devant de la scène à travers de belles intégrales de Jerry Spring ou une biographie imaginaire réalisée par Schwartz & Yann.
Il manquait cependant un ouvrage de fond pour appréhender son travail dans sa globalité, mettant en valeur l’étonnante diversité de traits et de techniques du maître belge. C’est ce que proposent aujourd’hui les éditions Dupuis, avec ce massif volume comportant peu de texte mais beaucoup d’images. En effet, ce n’est pas une biographie (elle reste à écrire) mais plutôt une grande anthologie du travail de Jijé sous toutes ses coutures, les abondantes reproductions d’originaux n’étant commentées que par des extraits d’entretiens.
Restait à structurer ces masses de documents et d’informations, et c’est François Denneyer – célèbre collectionneur et ex-directeur de l’éphémère musée Jijé de Bruxelles – qui s’en est logiquement chargé, classant les travaux dans différents grands thèmes assez logiques. Suivant un axe chronologique tout en étant englobant, le livre aborde aussi bien les grands personnages (Spirou, Blondin et Cirage, Jean Valhardi…), que des sujets plus globaux (les biographies, le western, l’humour et la caricature, Jijé au féminin…) et des thématiques personnelles (la jeunesse – voir ci-dessous une de ses caricatures réalisées adolescent –, Gillain peintre, le métier…). De quoi brasser assez finement le travail d’une vie, si riche qu’elle semble en avoir hébergé plusieurs.
Si l’on peut regretter quelques images pixelisées (peu, mais c’est déjà trop dans un ouvrage de ce type), la grande majorité des illustrations sont superbement reproduites, et permettent de plonger avec délice dans le geste de Jijé. Alternant planches, illustrations, cases, travaux préparatoires et croquis, le livre en jette plein la vue et l’on est tour à tour impressionné par la force comique, la profondeur des ombrages, la facilité du trait et – surtout – son aisance à naviguer d’un style à l’autre.
Le livre témoigne aussi d’une certaine époque, où le pilier d’un journal hébergeait des assistants en formation, où la rédaction était un lieu de vie et où un dessinateur pouvait reprendre une série du jour au lendemain. Ainsi, si l’on sait que Jijé abandonna Spirou à Franquin au cours d’une aventure, et qu’il reprit de la même manière Tanguy et Laverdure à Uderzo, on sait moins qu’il a dessiné une quinzaine de pages de Blueberry un jour où Giraud était en vadrouille, qu’il a dû dépanner Hubinon sur un Buck Danny, ou qu’il dut conclure un épisode de Valhardi sans Charlier, parti en Italie sans plus donner de nouvelles…
Jijé travailla avec les plus grands scénaristes de son époque, de Goscinny à Rosy en passant par Lob et Charlier, sans jamais dévier de son but : raconter de bonnes histoires. Peu enclin à concevoir son travail comme de l’art, il n’avait sans doute pas conscience de son importance pour les générations à venir (et ce encore aujourd’hui), préférant voir sa réelle marque dans ses peintures. Des peintures d’influence impressionniste, d’ailleurs honnêtes, mais dont il faut bien admettre qu’elles sont bien moins originales que le reste de ce que dévoile cette massive monographie à mettre entre toutes les mains curieuses de ce pionnier de la BD franco-belge.
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Quand Gillain raconte Jijé.
Par François Deneyer.
Dupuis, 400 p., 45 €, mars 2014.
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