« Quartier Lointain » s’installe subtilement au cinéma
Comment traduire au cinéma la délicatesse, la poésie et la langueur d’un manga de Jirô Taniguchi? C’est avec un brin de circonspection qu’on s’était rendu à la projection de ce Quartier Lointain, adapté au cinéma du chef d’oeuvre du mangaka japonais par le Français Sam Garbarski (Le Tango des Rachevski, Irina Palm). A tort, puisque le résultat se montre convaincant, respectant assez bien l’esprit de la bande dessinée.
On y suit le fantastique voyage de Thomas (Pascal Greggory), un auteur de BD quinquagénaire désabusé et en panne d’inspiration – il signe chez Casterman (clin d’oeil à l’éditeur de Taniguchi) une série qui ne rameute pas les foules en dédicaces. Par un hasard assez peu crédible, il se trompe de train et débarque dans le village de son enfance, où il n’a pas mis les pieds depuis quelques décennies.
Devant la tombe de sa mère, il est pris d’un malaise et se réveille dans la peau de l’adolescent qu’il fut au début des années 60 (Léo Legrand). Stupéfait, cet homme au corps de gringalet en pleine croissance redécouvre ses copains de classe, sa maman aimante (Alexandra Maria Lara), et surtout son père (Jonathan Zaccaï). A la fois hargneux et triste, ce dernier suscite toutes les attentions de Thomas. Et pour cause, puisqu’il sait que, quelques jours plus tard, son géniteur va sortir acheter du pain et quitter sa famille aussi sec, sans jamais la revoir ensuite. Le garçon enquête alors sur son père, pour découvrir ce qui le mine et surtout empêcher son départ…
Sans esbroufe, Sam Garbarski raconte une histoire mêlant inquiétude et joie. « L’aspect formel est crucial dans l’oeuvre de Taniguchi, précise le réalisateur dans le dossier de presse du long-métrage. La mise en scène, les cadrages sont parfaits, les décors apportent une vraie profondeur et puis il y a le « mâ », ces instants suspendus où tout se dit sans parole. La vraie difficulté n’était pas de transposer l’histoire [de Quartier Lointain] en France, mais de restituer au mieux cette dimension esthétique dans le film. »
Sa caméra se pose tranquillement, filme ici ou là des paysages qui allègent la tension dramatique du long-métrage. On suit une quête de vérité essentielle, qui pourrait changer le futur, ainsi qu’un retour à la jeunesse, à l’insouciance. Thomas redécouvre la complicité avec sa petite soeur ou son meilleur ami, et surtout l’amour et les premiers émois sensuels suscités par une jeune fille de 16 ans, qui a inspiré ses premiers dessins…
Le cinéaste est servi par un casting subtil. Pascal Greggory offre son épaisseur bourrue à Thomas version adulte, tandis que son alter ego adolescent est parfaitement interprété par Léo Legrand (étonnamment ressemblant à Jacques Dutronc en plus jeune). Alexandra Maria Lara incarne de façon sobre et émouvante une épouse délaissée, fragilisée par tout ce qu’elle ne comprend pas ou refuse d’admettre. Seul Jonathan Zaccaï se montre peut-être un peu trop monocorde, laissant ses failles apparaître tard dans son jeu.
Tourné avec la bénédiction de Jirô Taniguchi, le film récolte même des éloges du mangaka – qui fait une apparition en fin de film, à la Hitchcock. « Il retranscrit mon oeuvre d’une manière plus esthétique que dans le manga original, assure-t-il avec une politesse qu’on imagine toute japonaise. Le déroulement de l’histoire se fait avec un suspense approprié, une tension présente tout le long, et le rôle de la bande originale m’a beaucoup fait réfléchir. La musique du groupe Air [en charge de la BO du long-métrage] permet de transmettre de manière plus réelle et forte les sentiments de chaque personnage, cela donne une vraie dimension artistique au film. » De quoi donner des envies de cinéma à l’auteur du Sommet des dieux?
Laurence Le Saux
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Quartier Lointain.
Un film de Sam Garbarski, avec Pascal Greggory, Léo Legrand, Jonathan Zaccaï, Alexandra Maria Lara…
D’après le manga de Jirô Taniguchi (Casterman). Durée: 1h38.
En salles le 24 novembre 2010.
Images © Patrick Muller – Wild Bunch Distribution – Casterman.
Quartier Lointain.
Par Jirô Taniguchi. Casterman, 25,95€, le 25 août 2010.
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