Quatre rééditions indépendantes et immanquables
Zoom sur 4 rééditions pleines d’humour et d’inventivité, joyaux du catalogue de 4 éditeurs indépendants.
L’Infiniment moyen
Vous avez aimé L’Album de l’année et Carnet du Pérou ? Vous avez adoré Zaï Zaï Zaï Zaï, l’inattendu best-seller de Fabcaro ? N’en jetez plus et courrez vous procurer L’Infiniment moyen, recueil d’histoires courtes publiées entre 2003 et 2011, pour certaines dans Psikopat, Bedaine et CQFD. On y retrouve tout le talent de l’auteur, l’un des plus drôles depuis un bout de temps. Parent ingrat, individus dépressifs, auteur hypocondriaque, collègue de bureau souffre-douleur, sodomies asiatiques… Avec un sens de l’autodérision consommé et un génial goût pour l’humour noir, Fabcaro livre une chronique sociale grinçante, souvent tordante et redoutablement efficace. Ou l’absurdité du quotidien porté à des sommets jubilatoires. En quelques dizaines de gags, à la faveur d’un trait souple et fluide, Fabcaro déclenche l’hilarité. Fous rires garantis !
L’Infiniment moyen, Fabcaro, éditions Même Pas Mal, 13€, janvier 2017.
Mildiou
En attendant le retour de Lapinot le 21 août prochain – Nouvelles Aventures de Lapinot : Un monde un peu meilleur – L’Association réédite Mildiou, les aventures frénétiques d’un lapin vif et agile, autant par le geste que par le verbe. D’abord publié au Seuil en 1994, cette suite de Lapinot et les carottes de Patagonie révélait toutes les qualités d’une série de BD grand public intelligente. De l’aventure, de l’action, et des batailles rhétoriques de haute volée. Car Mildiou est un roi par défaut, conspué par la foule. Et quand le prince légitime débarque, Mildiou est affaibli. Incapable de s’y résoudre, il lui faut trouver un bouc-émissaire, une victime expiatoire pour s’exonérer de ses propres fautes. Ce sera le lapin, faible, naïf et inoffensif en apparence. En fait de lapin, il va se retrouver nez à nez avec un redoutable guerrier, malin et rapide. Les voilà tous deux engagés dans une folle course-poursuite. Lewis Trondheim bâtit un feuilleton épique et nerveux dans lequel il s’amuse à jouer avec les conventions. Malgré l’urgence illustrée par les changements de décors à chaque page, les personnages, plus consistants de scène en scène, offrent par leurs dialogues un joli contrepoint, une manière de poser la traque vengeresse. Avec un brin de légèreté, de fantaisie et bien sûr d’humour. Savoureux.
Mildiou, Lewis Trondheim, L’Association, 13€, avril 2017.
Smart Monkey
Certaines planches ont été présentées au dernier festival BD de Bastia ainsi qu’un court-métrage (adapté de la BD en 2014, réalisé par Winshluss et Nicolas Pawlowski, diffusé sur Canal+). Smart Monkey (2004), signée de l’immense Winshluss (Pinocchio, Dans la forêt sombre et mystérieuse, In God We Trust, Super Negra…), raconte les aventures muettes d’un petit singe espiègle, en quête d’un repas ou d’une femelle à séduire, guidé en apparence par des élans très primaires. À la seule force du crayon – et de son intelligence – Winshluss réinterprète à sa façon les théories darwiniennes. Petit lapin sautille, fuit, court, saute, s’étonne et se fait peur, traqué par une faune hostile nourrie par la loi du plus fort. Les faibles face aux forts, les dominés et les dominants. Là où Winshluss brille, c’est dans sa façon d’apporter une réponse inédite : implicite, moderne, déroutante. Car petit singe « incarne la supériorité du cerveau sur le muscle, du raffinement sur la brutalité, de la culture sur l’instinct » précise l’éditeur. Sorte d’ode à la malice et à l’instinct de survie, seuls capables de vous sauver des bons sentiments qui, de toute façon, finiront par vous tuer. Sans paroles (sauf dans l’épilogue) et en noir et blanc, c’est bien par le trait que cette réponse s’illustre : alliant agilité et nervosité, force brute et énergie pleine de grâce, ainsi qu’une expressivité rarement égalée, Winshluss sonde les origines du monde dans une geste habitée. Son sens de l’urgence et du mouvement, son talent pour camper des personnages attachants, par le seul graphisme, époustouflent. Pour cette réédition, Cornélius accompagne la BD d’un livret de 16 pages contenant la toute première version de Smart Monkey parue dans la revue américaine Top Shelf Asks the Big Questions en 2003 et inédite en France. Smart Monkey est un classique, une BD culte et sans doute l’autre chef-d’œuvre de Winshluss à côté de Pinocchio.
Smart Monkey, Winshluss, Cornélius, 23.50€, mars 2017.
Monsieur Ferraille
Un bonheur n’arrivant jamais seul, Les Requins Marteaux mettent eux aussi à l’honneur le travail de Winshluss et Cizo avec cette jolie réédition de Monsieur Ferraille (2002), épuisé depuis un bout de temps. « L’avenir sourit aux audacieux sans scrupule » mais Bob ne le sait pas encore. Car cette « fiotte » de Bob est moqué, humilié par toute une bande de plagistes : tout maigre et pas beau, il n’en peut plus. Alors qu’il est plongé dans son livre (Comment devenir fort et musclé), Monsieur Ferraille débarque et lui hurle : « balivernes, foutaises, hérésie. » Le robot masqué a mieux : un délicieux élixir magique. Du vin quoi. Trois mois plus tard, Bob est transformé, libéré même. Il jure, drague et accoste sans retenue… En plein Reich, chez Tintin ou au pays de Walt Disney, Monsieur Ferraille s’adapte aux idéologies pour mieux les dézinguer. Détournements de couvertures, parodies de pubs, humour corrosif, Winshluss et Cizo sabordent des propagandes, malmènent leurs personnages, les ridiculisant sans scrupule, revisitent des genres graphiques avec brio comme pour mieux rendre hommage à l’Histoire du médium tout en la dépassant. Le graphisme emprunte tantôt à la ligne claire, tantôt au constructivisme russe et à la BD populaire, ronde et naïve. Sale et charbonneux aussi, le trait s’autorise des petites échappées élégantes pour donner le coup final à ce jouissif pilonnage. Un album en tout point hilarant, malin et salutaire. À noter que 24 pages de bonus accompagnent cette réédition, entre pubs et affiches de cinéma, sortes de forfaitures grandioses. Un vrai bijou.
Monsieur Ferraille, Winshluss et Cizo, Les Requins Marteaux, 25€, mars 2017.
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