Queenie, la marraine de Harlem
Stéphanie St Clair était une femme forte, mais pas une sainte. Dans le Harlem de l’entre-deux guerres, un âge d’or appelé « Harlem Renaissance », celui du Cotton club et de Duke Ellington, elle règne sur la loterie clandestine. À la fin de la Prohibition, en 1933, son affaire florissante attire l’intérêt du mafieux Dutch Schultz, qui lui déclare la guerre. Ou comment survivre et s’enrichir dans un milieu d’hommes violents…
Cette biographie semble s’être imposée comme une évidence à la story-boardeuse et artiste peintre Elisabeth Colomba, Martiniquaise exilée à New York comme son héroïne. Un sujet de choix pour une artiste qui réalise des portraits monumentaux de femmes noires à la mode du XIXe siècle, corrigeant la quasi-absence de modèles noirs dans la peinture classique. Elle creuse ici son sillon en replaçant une mafieuse noire dans l’histoire de la pègre de Harlem. À l’inverse de ses toiles éclatantes, elle choisit pour l’album un noir et blanc élégant et contrasté, soutenu par un trait réaliste et une ligne très pure. Elle est accompagnée de la scénariste Aurélie Levy, qui sait apporter des ruptures de rythmes bienvenues ou briser la narration en s’adressant au lecteur et en dépassant la temporalité du récit par des références qui traversent le temps, comme les écrits de James Baldwin ou l’assassinat de George Floyd. Une documentation visuelle et historique solide permet aux auteures de multiplier les références culturelles et les décors soignés d’un Harlem en plein bouillonnement culturel.
L’album est donc un bel objet, à la forme maîtrisée, qui déroule au premier abord un récit classique qui étouffe un peu l’émotion. Mais il tisse discrètement une toile bien plus grande que la vie de Stéphanie St Clair et se fait multiforme : manifeste anti-raciste, odyssée d’émancipation, étape supplémentaire dans le parcours d’une artiste qui sort les femmes noires de l’invisibilité.
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