Qui est Vega, nouveau venu sur le manga ?
Nouveau venu sur le marché du manga, Steinkis s’offre les services de Stéphane Ferrand pour lancer Vega, leur nouvelle maison d’édition. Principalement focalisés sur le seinen, leurs choix s’annoncent modernes, qualitatifs et populaires. Pour BoDoï, le directeur éditorial Stéphane Ferrand et le gérant Moïse Kissous reviennent sur la genèse de cette nouvelle entité, mais aussi ses enjeux, ses objectifs et bien sûr sa ligne éditoriale. Avant le lancement officiel de Vega au mois d’octobre 2018, avec trois mangas intrigants et différents.
Stéphane Ferrand, on entend de nouveau parler de vous depuis mi 2017 avec votre présence dans le Grand Jury du Prix Konishi pour la traduction de manga japonais en français et votre travail de commissaire de l’exposition Fairy Tail au Festival international de la bande dessinée d’Angoulême 2018… Qu’avez-vous fait d’autre depuis votre départ des éditions Glénat en 2015 ?
Stéphane Ferrand : Ce n’est pas parce que l’on n’est pas sur le devant de la scène que l’on ne fait rien. J’avais envie de concrétiser plusieurs envies, et comme je tiens à faire les choses bien, j’ai pris le temps de réfléchir, consulter, me documenter et apprendre ce que je ne savais pas. Puis j’ai construit soigneusement et comptablement plusieurs projets professionnels… ce qui prend du temps ! J’ai alors créé mes sociétés pour mettre en œuvre mes idées, en commençant par ce que je savais faire de mieux selon moi, à savoir de l’édition de manga.
Justement, vous êtes à la tête de deux entités : Hypermédias Agency, créée en 2016, et Nexusbook, créée un an plus tard. En quoi sont-elles différentes ? Quels sont leurs objectifs propres ?
S.F.: Mes deux sociétés sont différentes car elles ne sont pas montées avec les mêmes personnes et ne sont pas construites avec les mêmes objectifs. Leurs projets n’ont pas la même temporalité et donc pas le même schéma de financement. C’est pourquoi il m’est apparu essentiel de scinder en deux mes activités. Hypermédias est une entreprise qui propose de l’événementiel, du conseil et développe des projets culturels. Elle a failli être la première pierre, ce qui explique pourquoi elle est apparue en premier. La faire apparaître plus tôt a permis d’amorcer plusieurs projets, malgré l’incapacité d’investissement qui a paralysé 2016 et 2017. Depuis mi-2017, les affaires reprennent et les projets préparés trouvent désormais à se faire. Les demandes en expositions sont en nette hausse, par exemple. Hypermédias se spécialise également dans l’analyse de marché et le conseil B to B [Business to Business, ensemble de relations commerciales entre entreprises – NDLR]. Il y a ainsi plusieurs projets autour d’Hypermédias dont la plupart ne peuvent être officialisés, mais je peux vous annoncer par exemple que je m’occupe de la conception de la nouvelle attraction/exposition qui ouvrira en mai 2019 au Parc Astérix.
Et qu’en est-il de Nexusbook ?
S.F.: C’est 25 ans de vie professionnelle autour du manga, du comics, du roman, de la bande dessinée et de la culture pop que j’ai voulu assembler au sein de Nexusbook. Cette société me permet de développer des projets éditoriaux, soit en propre, soit en collaboration. Les projets éditoriaux propres tourneront autour de l’édition de beaux livres ou de livres d’études, autoproduits ou en achats de droit. Ce travail au sein de ma propre structure sera plus personnel et cherchera en particulier à approfondir la compréhension du média au travers d’ouvrages théoriques ou techniques. Trois livres sont déjà en projet, mais nécessitent beaucoup de temps, de négociation et de travail. En parallèle, Nexusbook pourra être associée avec différents éditeurs en place pour développer des lignes éditoriales spécifiques qui relèvent de mes connaissances. Ainsi le développement du manga se fait en exclusivité avec Steinkis Groupe, sous la SEP [société en participation – NDLR] que nous avons nommée Vega. Cette entreprise compte beaucoup pour moi et c’est pour ça que je voulais lui apporter tout le soin possible. C’est un peu ma première pierre, et, de plus, une véritable satisfaction personnelle en tant qu’éditeur.
Plus gratifiante que votre expérience chez le leader du marché qu’était Glénat ?
S.F.: Contrairement à mon travail chez Glénat, je suis là sur la création ex-nihilo d’une maison d’édition, et rien que ça, c’est enthousiasmant. En plus, la difficulté avec les grosses boîtes comme Glénat, c’est qu’au-delà des offices que tu fais correspondre à l’actualité et aux goûts du moment, le fonds de catalogue pèse énormément. C’est une grosse responsabilité qui accapare beaucoup le quotidien et ce n’est pas toujours facile à gérer. C’est tellement satisfaisant de se dire que l’on va partir de l’année 1, choisir les bons titres et construire soi-même avec le regard tourné vers l’année en cours et les années à venir. Et ça, c’est très excitant pour un éditeur !
Vega ne sera donc qu’une facette de votre travail. Pensez-vous qu’il est possible d’éditer ses propres titres, d’être éditeur en collaboration avec un ou plusieurs éditeurs existants, tout en proposant des services à d’autres membres du secteur, sans risque de conflits d’intérêts, quiproquos ou craintes de leur part ?
S.F.: J’ai pour ma part un sens moral auquel je tiens et qui est constitutif de ma personnalité. Je travaille honnêtement et je dis ce que je pense. Bien entendu, des erreurs ou des malentendus arrivent, mais en 25 ans, je ne crois pas qu’on ait jamais pu me reprocher d’être malhonnête. Du côté éditorial, il suffit de sectoriser les actes dans le contrat pour éviter tout malentendu. Ainsi, chez Nexusbook, l’édition de manga, c’est Vega. Enfin, après tout, tous les éditeurs deviennent à un moment ou à un autre président du groupe BD du SNE [Moïse Kissous, PDG de Steinkis Groupe, a d’ailleurs été élu à cette fonction en janvier 2018, prenant la suite de Guy Delcourt – NDLR] et personne ne crie au conflit d’intérêts, tout comme quand les programmateurs de festivals deviennent directeurs éditoriaux… Nous sommes un petit milieu. Si nous sclérosons notre évolution par peur d’être malhonnête, autant se passer la corde au cou, car le problème réside autre part. Le marché a besoin de mouvements, de collaborations, de développements, de participations, d’innovations. Sans être naïf sur ce qui existe dans le marché, on peut bâtir sur des bases différentes.
Nexusbook a été créé le 29 décembre 2017, l’annonce de l’association avec le groupe Steinkis a été annoncée le 14 février 2018, les premiers titres, présentés en juin, sortiront en octobre, soit moins de 10 mois après votre création. Tout ça semble assez précipité, alors qu’on imagine que ce projet a été réfléchi plus en amont. Pouvez-vous donc revenir sur la genèse de cette aventure ?
S.F.: Moïse Kissous a innové de plusieurs manières ces dernières années au sein de Steinkis. Dans ces évolutions il lui restait à aborder le manga. C’est chez lui une réflexion de longue haleine. Il s’est trouvé que son attachée de presse Marie Fabbri lui a parlé de moi. Nous nous sommes rencontrés plusieurs fois à partir d’août 2017 et nous sommes tombés d’accord sur le projet que nous voulions proposer en manga. D’octobre à janvier, nous avons mis en œuvre le projet et les contacts, puis effectué notre premier voyage au Japon en février 2018. Il n’y avait pas de raison de perdre du temps. Les choses se sont faites dans un bon rythme, étape par étape, mais en maîtrisant bien chacune d’elle.
Moïse Kissous : De mon côté la genèse remonte à bien plus loin…
Comment et pourquoi devenir éditeur de manga maintenant ?
M.K.: Ma connaissance du manga est assez limitée. Je suis né en 1971 et je fais partie de la première génération ayant découvert tout ça à travers les dessins animés des années 1980, mais je suis passé à côté de l’arrivée du manga. Quand le marché s’est réellement mis en place dans les années 90, j’étais accaparé par ma vie professionnelle et j’en ai peu lus. C’est après avoir quitté Publicis en 2003, et quand je me suis lancé dans l’édition avec Jungle que j’ai vraiment découvert le manga. J’ai commencé dans l’édition en m’associant avec Casterman et ce lien a perduré pendant 10 ans. Je lisais donc leurs sorties et j’en retiens en particulier les titres de la collection Écritures, comme ceux de Jirô Taniguchi ou certains titres Sakka comme Thermæ Romæ. Je n’ai par contre qu’une faible connaissance des genres shônen et shôjo. Pour autant, j’avais une vraie curiosité intellectuelle pour le Japon et sa culture au sens large et ça faisait longtemps que j’avais le souhait d’aller là-bas… C’est avec l’arrivée de Marie Fabbri [l’attachée de presse du groupe depuis 4 ans, après être passé par Kana et Ankama – NDLR] et de Benoit Frappat [directeur commercial et marketing du groupe depuis 1 ans, et qui a notamment travaillé chez Panini, Soleil et Delcourt – NDLR], qui ont tous deux une connaissance professionnelle et un goût personnel pour le manga, que mon intérêt pour cette bande dessinée s’est peu à peu développé. Mais n’ayant pas l’expertise du secteur, j’avais besoin de trouver un partenaire solide…
C’est à ce moment-là que vous vous êtes rapproché de Stéphane Ferrand ?
M.K.: En réalité, ma première approche significative avec le manga s’est faite avec nobi nobi ! il y a environ 2 ans. Leur production était très orientée jeunesse et je trouvais qu’il y avait des connexions assez évidentes avec le catalogue de Jungle. Ils cherchaient être rachetés, je me suis intéressé au dossier, mais ils ont finalement rejoint Hachette. J’ai ensuite été approché par Dominique Véret il y a un an. Il me proposait des projets qui correspondaient bien à la philosophie de Steinkis. Il y avait dans ce qu’il me proposait des choses intéressantes, mais je ne me sentais pas encore tout à fait prêt à sauter le pas. Finalement, Marie Fabbri ayant vu que je développais un intérêt pour le manga, m’a suggéré de rencontrer Stéphane Ferrand. Cela fait maintenant environ un an que nous avons commencé à discuter avec Stéphane et nous nous sommes rapidement bien entendus.
Et pourquoi vous a-t-il plus convaincu que les autres ?
M.K.: Tout d’abord, nous sommes de la même génération et avons des valeurs et goûts communs. Son approche m’a séduit, tout comme sa réelle expertise du marché, son savoir-faire acquis et son important réseau japonais. On peut ajouter à ça qu’il a un sens du commerce et qu’il sait trouver des productions intéressantes, plus ou moins pointues, qui ont aussi une potentialité de médiatisation et de commercialisation. Les titres proposés par Dominique Véret étaient intellectuellement très intéressants, mais semblaient moins évidents à commercialiser. Avec ce que proposait Stéphane, j’ai retrouvé l’équilibre entre qualité éditoriale et potentialité commerciale que je cherchais.
Pourquoi avoir monté cette maison d’édition par le biais d’une joint-venture ? Quel intérêt pour vous deux ?
M.K.: Comme je le disais, quand je me suis lancé dans l’édition, je me suis trouvé dans un cas de figure proche à mes débuts, car je me suis associé avec un éditeur déjà en place. Quand j’ai rencontré Stéphane, je me suis retrouvé en lui, car il n’avait pas pour ambition d’être un simple salarié. Il nous est donc rapidement paru évident que nous devions créer une entreprise en commun dans laquelle nous pourrions chacun apporter notre savoir-faire. Puis, étant donné qu’il s’agit d’une co-entreprise, les deux parties n’ont pas la même implication et la même exigence que dans une relation patron-employé, c’est donc très stimulant pour nous deux.
S.F. : Tout à fait, dès nos premiers échanges avec Moïse, je me présentais en tant que chef d’entreprise et je voulais développer des projets en pleine responsabilité. Vega est une structure d’entreprise dont je suis, via Nexusbook, actionnaire. L’engagement et le retour sur investissement n’est donc pas le même que lorsque l’on est employé. En plus de ça, créer une joint-venture me permettait aussi de garder mon indépendance de création dans d’autres domaines que le manga, ce qui me tenait à cœur. Je suis donc à la fois associé, libre et fortement impliqué.
Et quelle sera la répartition effective des tâches entre vos deux entreprises, Nexusbook et Steinkis ?
S.F. : L’intégralité de l’aspect éditorial est confié à Nexusbook, avec notamment le relationnel japonais, les négociations contractuelles ainsi que le suivi et les choix éditoriaux. Le travail de Nexusbook se termine quand le livre prêt à être imprimé est fourni à Steinkis. De son côté, Steinkis est tout d’abord gérant et garant de Vega, ce qui donne une assise solide à ce dernier. Le groupe s’occupera de la fabrication, des relations presse, du marketing, de l’évènementiel et du commercial.
Et qui a donc la décision finale sur l’acquisition d’un titre ou non ?
S.F. : C’est moi qui choisis les titres. J’en discute évidemment toujours en bonne intelligence avec Moïse, autant par plaisir partagé autour du manga, que pour discuter du potentiel, d’idées de fabrication, de stratégie autour du titre… Je prends également l’avis de toute l’équipe, car c’est important de croiser les points de vue, mais j’assume la responsabilité finale des choix éditoriaux.
Vous êtes donc le directeur éditorial de Vega, mais, hormis vous, des personnes sont-elles employées par Nexusbook pour effectuer ce travail éditorial qui vous incombe ?
S.F. : Côté Nexusbook, je n’ai pas d’employés, car je travaille avec des externes, ce qui est plus pratique compte tenu de la variété des missions qui peuvent incomber à Nexusbook.
Venons-en à vos premiers interlocuteurs : les éditeurs japonais. Comment s’est passé votre retour auprès d’eux ? Votre posture d’ancien directeur éditorial chez Glénat vous a-t-elle aidé ?
Personnellement, j’ai été ravi de retourner au Japon et j’ai retrouvé cette même sensation en revoyant des personnes lors des rendez-vous professionnels. C’était des moments très agréables et les éditeurs japonais ont été très sympathiques et accueillants. Après, le business c’est le business et Vega n’est pas Glénat. La question de ce que j’ai été se pose moins que celle de ce que je suis devenu, c’est donc une page blanche, de manière logique et normale. Mais il est vrai que j’ai eu la chance d’être reçu dans les grandes maisons, et on a bien voulu écouter avec attention les explications que je donnais autour de Vega. C’est déjà beaucoup. Cela m’a permis de bien présenter le projet aux meilleurs interlocuteurs possible.
M.K. : J’ai vu la curiosité, l’envie et l’intérêt des éditeurs japonais pour le projet qu’on leur présentait. Les éditeurs japonais ont salué ce positionnement sur le seinen et pour l’instant nous ouvrent leurs portes. Même si on pensait que cela prendrait un peu moins de temps et qu’on pourrait sortir plus de mangas d’ici à la fin 2018, on a déjà des titres qui sont en train de nous être confirmés pour 2019, c’est donc très positif.
Les éditeurs français le répètent, le vivier de titres qui ont un potentiel en France est déjà bien entamé au Japon et il faut se positionner très tôt sur certaines séries pour être sûr de les acquérir, souvent en n’ayant tout au plus qu’un tome pour juger… De plus, quand des séries fortes apparaissent les enchères atteignent des montants déraisonnablement élevés. N’est-il pas difficile de trouver et acquérir de nouvelles séries dans ces conditions ?
S.F. : Vu ce que j’ai trouvé et déjà acheté, je serai mal placé pour dire qu’il n’y a plus de bons titres ou de fabuleuses découvertes au Japon. Certains éditeurs m’ont même confié avoir été étonnés de ne recevoir d’offre sur certains titres que maintenant et j’ai partagé leur étonnement.
M.K. : Il sort plus de 10 000 titres par an au Japon et, en France, nous en sommes encore très loin. Il est donc tout à fait possible de pouvoir trouver de bons mangas à publier. En plus, le marché français est pour sa part dynamique et se porte bien…
Justement, on entend souvent que le marché français est surchargé… Est-ce le bon moment pour se lancer ?
S.F. : Je ne considère jamais les choses sous cet angle. C’est plutôt le public français que j’observe et j’essaye de trouver au Japon ce qui lui conviendrait. Le marché est fort, mais encombré, soit, mais pas plus finalement que les 10 ou 12 dernières fois où on m’a posé la question… et je me rappelle qu’il y a 15 ans, je posai moi-même la question aux éditeurs en place. Donc finalement, est-ce la bonne question ?
L’important est peut-être alors de se demander de quelle manière il est judicieux de se positionner sur ce marché concurrentiel. Par conséquent, quelle sera votre stratégie, votre politique éditoriale ?
S.F. : Dans un premier temps, la ligne éditoriale sera principalement orientée autour du seinen manga, tout autant exploré dans son versant divertissement (avec des titres type Tokyo Ghoul) que dans son côté ancrage dans le réel (type Les Gouttes de Dieu). Le nom de cette première collection sera donc tout simplement « Seinen », pour les titres adultes. L’idée est de proposer des collections simples et de vite compréhensibles. C’est pourquoi j’ai souhaité éviter le terme « Adulte » qui est souvent associé au porno. Dans un second temps, une collection « Kids » proposera des mangas pour les progénitures de ces parents prescripteurs. Enfin, une collection « Ados » réunira shônen et shôjo sous un même intitulé, parce que je pense qu’il est désormais inutile de surjouer la distinction de genre. En France, on connait désormais assez le manga pour savoir reconnaitre à la couverture des codes de shônen et les codes de shôjo. Et au pire, les lecteurs de shônen lisent aussi du shôjo et vice versa… J’ai donc décidé d’unifier les genres, avec l’accord des ayants droit japonais, bien entendu.
Le seinen a maintenant une place importante chez de nombreux éditeurs. Qu’est-ce qui vous différenciera des autres acteurs du marché ?
S.F. : Ce qui nous différenciera inévitablement des autres, c’est que le seinen sera notre cœur de métier et non pas l’élément d’un tout, comme on peut le voir chez les autres éditeurs. La plupart sont tournés vers le shônen, souvent pour des raisons économiques. L’évolution des différentes maisons les ont menés à aller vers le shôjo et le seinen et tout ça suit une logique qui fait que ces maisons ont plein de collections différentes. Je pense donc qu’il est tout à fait cohérent que Vega prenne une voie similaire en ayant le seinen comme fer-de-lance.
Votre dernière aventure à la tête du leader du marché permettait des choses qui ne peuvent pas certainement pas être faites avec une nouvelle structure, les enjeux et objectifs sont donc forcément différents… Quel est donc l’objectif du catalogue ?
S.F. : Le groupe Steinkis a un savoir-faire éditorial et de fortes capacités d’investissement. Nous serons diffusés et distribués par Interforum, qui s’occupe déjà de Ki-oon et Kurokawa, ce qui n’est pas anecdotique. Donc sans bénéficier comme Glénat d’un lourd catalogue, je pense que les enjeux et capacités de faire sont néanmoins comparables. La question ensuite demeure des envies, et ici des distinctions apparaissent. J’aimerais que le catalogue Vega se propose auprès d’une nouvelle composition du lectorat français : plus moderne, considérant ses nouvelles racines multiculturelles, ayant considération pour la littérature dessinée et la pop culture. Accompagner ces nouvelles générations autour des médias de leur époque, et faire en sorte qu’ils soient porteurs avec tout autant d’efficacité des valeurs constructives que nous voudrions léguer à nos enfants ; qu’ils relaient une vision plus élargie du monde et de l’autre et au mieux, une meilleure compréhension. Je souhaite d’une certaine manière revenir au véritable métier d’éditeur.
Vous avez annoncé les trois titres qui ouvriront votre catalogue en octobre 2018, pourquoi ces choix ?
S.F. : Moi, j’adore lire des mangas parce que je ne sais pas lire le japonais. Donc, je sais tout de suite si un manga me prend ou pas. C’est de la BD, ça repose d’abord sur de l’image et de la narration. Si c’est de la qualité, ça doit fonctionner même sans le texte. Fondamentalement, Peleliu, si tu ne le lis pas, tu rentres quand même dedans, tu comprends ce qui se passe et t’es happé par l’histoire. Moi quand je sors de ce livre, je n’ai qu’une seule envie, c’est de le faire traduire. Il y a quelque chose de très fort dans ce titre, dans son histoire, son ton, la manière dont les choses se passent… En plus, la thématique, le traitement et le côté antimilitariste m’ont paru correspondre à l’actualité.
Et qu’en est-il de la nouvelle version de Survivant ? Ce qui est drôle, c’est que ce titre faisait partie des premiers mangas que vous aviez publié à votre arrivée chez Kankô (branche manga des éditions Milan)…
S.F. : J’avais adoré la première version faite par Takao Saito et ce qui m’avait d’abord attiré dans le manga original, c’était le dessin que je trouvais très réussi. C’est pourquoi j’avais été vraiment frustré de le publier au format bunkô (format plus petit que le format poche habituel – NDLR), mais je n’avais pas le choix car on n’avait pas les fichiers nécessaires pour faire un format classique… Dans ce reboot, le dessin est encore meilleur et j’ai revibré avec Satoru de la même manière. On retrouve une narration modernisée, avec un nouveau rythme et j’ai été fasciné de prendre la mesure des variations que Takao Saito avait apportées dans son travail. En plus, le survivalisme est dans l’air du temps, tout comme les questions écologiques que le titre soulève.
Et Deep Sea Aquarium Magmell ?
S.F. : Ce sont des tranches de vie qui contrebalancent avec les deux séries précédentes : une belle histoire et une belle aventure qu’on lit par plaisir et sans prise de tête… C’est un réel « feel good manga », dans la lignée de Chi – une vie de chat. Il y a aussi un côté plus féminin, ce qui est important, car cela permet de présenter une vision du seinen qui m’intéresse, tout en évitant de m’enfermer dans un style particulier. Le dessinateur est remarquable dès qu’il s’agit de dessiner les fonds marins et il y a une tonalité « vernienne » fantastique. En plus les aquariums, l’univers marin et la découverte de la faune et de la flore sont des sujets passionnants et qui plaisent aux Français.
On a donc 3 titres, 3 éditeurs, 3 nouveaux auteurs avec 3 univers graphiques totalement différents… Comment donner du liant au catalogue, une ligne directrice ?
S.F. : Je ne construis pas la ligne éditoriale sur des identifiants de séries ou de collection. J’identifie d’abord le public. Il y a plusieurs types de public, mais on peut considérer que la richesse scénaristique et la variété des styles proposés par le seinen, c’est exactement ce qui satisfait un public jeune adulte et adulte. On retrouve dans le seinen la diversité qu’on retrouve dans la BD franco-belge, beaucoup plus qu‘en shônen et le shôjo. Il y a aussi dans le seinen cette qualité foisonnante qui plait et qui témoigne d’œuvres plus maîtrisées, plus personnelles. Par exemple, quand j’étais chez Glénat des titres comme Tokyo Ghoul, Les Gouttes de Dieu et Chi – une vie de chat se trouvaient dans le même catalogue et cela avait du sens.
Oui, mais comme le seinen est très vaste, la question est de savoir où s’arrêter…
S.F. : Mon but est de plaire à un public très renouvelé par rapport à ce que les catalogues des maisons d’édition traditionnelles peuvent proposer. Cependant, je ne souhaite pas me positionner comme Cornélius ou Le Lézard noir. Même s’ils font un travail excellent, je souhaite garder un côté plus populaire et accessible tout en restant sur des formats classiques. En plus, on ne cherche pas à casser les codes au niveau du format et du prix… Dans la même idée et comme je l’ai jadis pratiqué, je respecterai la forme japonaise en publiant en fac similé autant que faire se pourra, sauf dans le cas de projets éditoriaux spécifiques. Les onomatopées seront donc sous-titrées et le sens japonais conservé.
Et quel sera le prix et le rythme de parution de vos séries ?
S.F. : Pour le seinen, on a trouvé nos équilibres avec un prix de 8 €. Je n’ai jamais été adepte des « X,99″, nous avons donc opté pour un prix clair et sans surprise. Pour les autres titres des autres collections, on fera les calculs au fur et à mesure des projets pour avoir les prix justes, mais comme pour le seinen, nous devrions être dans la moyenne du marché. Le rythme de publication étant une des particularités propres au manga, la parution sera dans la norme de ce qui s’est toujours fait. Ainsi, nous publierons nos séries à un rythme d’un volume tous les 2 mois jusqu’à rattrapage de la publication japonaise. Certains titres pourront avoir un rythme d’un volume tous les 3 mois si cela me semble plus adapté, mais l’idée est de ne pas espacer plus les sorties tant qu’on n’a pas rattrapé la parution japonaise… Exceptionnellement, pour notre lancement, nous sortirons par contre les deux premiers tomes à un mois d’intervalle pour marquer le coup et que les gens puissent rentrer dans les histoires.
Et qu’en sera-t-il du numérique ? Du simulpub [publication numérique de titres en simultanée avec le Japon – NDLR] en prévision ?
S.F. : On va d’abord se concentrer sur la publication des titres papier pour faire en sorte qu’ils soient bons et beaux, mais ils auront bien leur existence en numérique. Pour ce format on va se baser sur l’expérience de Steinkis qui est sur Izneo. La stratégie numérique se posera dans le temps et peut être avec des réponses un peu nouvelles. Le simulpub sera donc une question à développer ultérieurement. À vrai dire, sur le numérique ma réflexion n’est pour l’instant pas vraiment là. Le problème c’est que pour l’instant le numérique c’est du repackaging et qu’il ne propose aucun travail éditorialisé. Le jour où ce sera le cas, je pense qu’on partira sur des créations totalement différentes. Il y a d’ailleurs des projets intéressants qui sont actuellement présentés auprès des Japonais, et vu l’accueil qu’ils ont auprès d’eux, il est probable que cela change à moyen terme.
Et pour finir, comment voyez-vous l’année à venir ? Quel rythme et objectif de développement pour Vega envisagez-vous ?
S.F. : Trois séries seront lancées en 2018 et l’on peut déjà dire que nous avons signé deux autres séries pour 2019. Nous ambitionnons de proposer une dizaine de nouvelles séries et une quarantaine de volumes sur l’année 2019. Le principe va être d’au moins maintenir ce volume dans les années à venir. Le rythme de développement futur de Vega sera ensuite décidé par le public. À notre niveau et à cette époque, dresser déjà des plans sur la comète serait inutile, donc on se concentre sur notre début. On n’a pas monté Vega pour le faire exploser en vol, on se le travaille aux petits oignons. On garde tout de même pour objectif d’atteindre le top 10 des éditeurs manga dans les 3 à 5 ans. On est donc réalistes, mais déterminés et ambitieux.
M.K. : Après avoir été très dépendant des Simpson jusqu’à 2012, le groupe Steinkis a maintenant de bonnes positions, notamment sur l’univers de la BD jeunesse. Nous avons pour objectif de trouver une place sur le marché du manga, ce qui serait un relais de croissance important. Vega a donc des ambitions sérieuses à moyen terme. En fonction de la réponse du marché, des libraires et des lecteurs, on verra ensemble avec Stéphane Ferrand quelle sera la meilleure stratégie pour la suite.
Propos recueillis par Rémi I.
(Merci à Marie Fabbri pour l’organisation de cet entretien.)
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Deep Sea Aquarium Magmell.
Sugishita Kiyomi.
Vega, 8 €, volume 1 en octobre 2018, vol. 2 en novembre.
Survivant.
Takao Saito et Akira Miyagawa.
Vega, 8 €, volume 1 en octobre 2018, vol. 2 en novembre.
Peleliu.
Takeda Kazuyoshi.
Vega, 8 €, volume 1 en octobre 2018, vol. 2 en novembre.
Vega sera présenté le 7 juillet à 14 h, sur la scène Nezumi de Japan Expo.
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