Richard Guérineau en pleine Saint-Barthélémy
Échappé de ses habituelles collaborations (Le Chant des Stryges avec Éric Corbeyran, Le Casse – Le Troisième jour avec Henri Meunier), Richard Guérineau se lance, de manière flamboyante, dans l’adaptation du sanguinolent Charly 9 de Jean Teulé. Très inspiré par le roi qui fut à l’origine du massacre de la Saint-Barthélémy, l’auteur nous parle costumes d’époque et violence.
Qu’est-ce qui vous a attiré dans le roman de Jean Teulé ?
J’ai toujours aimé ses romans, au ton à la fois sérieux et déconnant, et très bien documentés. L’adaptation du Montespan venait de sortir chez Delcourt par Philippe Bertrand, j’ai proposé de travailler sur Je, François Villon, mais le livre était déjà en train d’être adapté. J’ai alors pensé à Mangez-le si vous voulez, mais tout le monde — y compris Jean Teulé — m’en a dissuadé [le roman, hyper violent rapporte le drame de Hautefaye : un jeune homme est torturé, brûlé vif et peut-être mangé par ses concitoyens en 1870], car c’était insoutenable. À l’époque, Jean Teulé était en train d’écrire Charly 9 et, quand ce livre est sorti, j’ai tout de suite imaginé son adaptation en BD : il y avait des interstices où je pouvais ajouter ce qui ne figurait pas dans le roman…
Comment avez-vous imaginé Charles IX ?
Charles IX est un pauvre garçon qui fait une grosse bêtise. Il est poussé par sa famille à ordonner un massacre [celui de la Saint-Barthélémy] qu’il n’a pas forcément désiré, et le regrette durant le reste de sa courte existence. Ce traumatisme lié au massacre le pousse à la folie et à la mort, dans une abominable agonie de sueur et de sang.
Quelles limites vous êtes-vous imposées dans la représentation de la violence ?
Je ne suis pas posé la question en ces termes, je voulais au contraire pouvoir tout me permettre. Mais il fallait que cela reste drôle, truculent. Je savais que l’impact des images ferait ressortir la violence, qui dépasserait l’aspect comique. Il me fallait donc trouver un équilibre entre le grotesque et le macabre. J’ai accentué le burlesque de certaines scènes pour contrebalancer la violence. Et j’ai esthétisé les scènes les plus difficiles, avec des ruptures graphiques et chromatiques en rouge et noir.
Comment avez-vous représenté la déchéance de Charles IX ?
À partir du moment où il commence à être malade — d’une forme de tuberculose —, il se met à transpirer du sang. Ce n’est pas historiquement avéré, mais c’est une belle métaphore : « je transpire le sang que j’ai fait verser ». L’album se termine par une « dégénérescence chromatique », la couleur disparaît et l’on termine sur des planches grises envahies de rouge.
Vous vous êtes amusé à glisser des références dans l’album…
J’ai respecté la structure du livre : les chapitres, très courts, s’enchaînent rapidement. Arrivé au tiers de la BD, j’ai voulu casser une monotonie potentielle grâce à une rupture graphique très franche. Je me suis permis de citer Peyo et Morris, pour casser la narration. L’anecdote du pâté de mauviettes [Charles IX, qui a été brièvement ligoté par deux protestants, ne cherche pas à se venger, mais à retrouver le charcutier qui a fabriqué le pâté dont ils se délectaient], la plus grotesque du roman, se prêtait parfaitement à l’intervention de Peyo avec des planches à la Johan et Pirlouit.
D’autres influences ?
Moebius depuis toujours, et plein d’autres comme Tardi, Pratt, l’école italienne avec Toppi, Battaglia — mais aujourd’hui c’est digéré, intégré. Je m’en rends compte a posteriori : ainsi les planches de la fin, en gris et rouge, ressemblent un peu à du Tardi.
Vous avez fait des recherches historiques, iconographiques ?
J’ai fait confiance à Jean Teulé pour le fond. Et puis je ne voulais pas tomber dans la BD purement historique, risquer que la rigueur du détail m’enferme dans un carcan. Je voulais m’amuser graphiquement en rendant une ambiance Renaissance crédible. Ce qui m’intéressait surtout, c’était les costumes incroyables de cette époque : les fraises, les collerettes, les robes, les chausses bouffantes. Cela donne un côté graphique aux silhouettes des personnages. Je me suis servi des abondants portraits d’époque existants. La plus grande difficulté vient des décors, surtout ceux du Louvre, alors en pleine transformation. J’ai été forcé d’inventer, d’évoquer une ambiance générale, je me suis pour cela servi des châteaux de la Loire. J’ai pu emprunter une cheminée à Chambord pour la mettre au Louvre. Pour les visages, j’ai essayé de retrouver un caractère global sans être prisonnier de la ressemblance.
Comment l’apparence de Charles IX évolue-t-elle ?
La folie et la maladie le transforment physiquement. L’album démarre avec une pleine page où on le voit encore très poupin, enfantin. Au fil de l’album, il devient presque ado, avec un côté punk débraillé, pour finir comme un vieillard décharné. J’ai pu être influencé inconsciemment par La Reine Margot de Patrice Chéreau, mais j’ai voulu m’éloigner visuellement de ses personnages, qui avaient un côté grunge aux cheveux gras. Je me suis aussi servi de La Princesse de Montpensier de Bertrand Tavernier pour les costumes et les décors.
C’est votre première réalisation en solo. Quels plaisirs et difficultés avez-vous rencontrés ?
Jusque là, j’étais angoissé à l’idée de travailler seul. J’adore collaborer, souvent avec des gens dont je suis proche, je participe au scénario, j’aime cet échange enrichissant et confortable : on résout plus facilement les problèmes à deux que seul. Le fait d’adapter un roman était rassurant pour moi, j’avais une base solide. La difficulté était plutôt de réduire un roman de 250 pages à 120 pages de BD : il fallait tailler dans la masse tout en gardant l’essentiel du récit. Puis réorganiser ce que j’avais conservé pour lui garder une cohérence. Mais c’est le plaisir d’avancer dans un récit au long cours qui a primé, alors que j’étais habitué à des one shot plus courts ou à des séries. J’avais envie de changer de format, de graphisme, de faire la couleur moi-même…
Êtes-vous devenu un passionné d’histoire ?
J’aime surtout qu’on me raconte des histoires. En faisant des recherches, j’ai lu des livres sur la Saint-Barthélemy et je me suis beaucoup intéressé à cette période, que j’ai trouvé passionnante. Par certains côtés, elle rappelle étrangement la situation d’aujourd’hui : un État au bord du gouffre, endetté jusqu’au cou, pris entre des factions politiques, voire religieuses, et qui devient impuissant à opérer sa gouvernance. Cela m’a donné envie de creuser cette idée dans des ouvrages futurs.
Justement, quels sont vos projets ?
D’abord finir Le Chant des Stryges, dont il reste trois albums à publier. En alternance, et suite à Charly 9, je me suis lancé dans l’écriture. Je pense aborder le destin de son frère, le futur Henri III. Un personnage très intéressant, que j’ai rendu moins désagréable et « chargé » que le héros de Jean Teulé : une grande folle, fils préféré de sa mère, qui déteste tous ses frères. En réalité, il est plus ambigu que ça, même si réellement très efféminé et amateurs de parures.
Propos recueillis par Mélanie Monroy
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Charly 9
Par Richard Guérineau, d’après le roman de Jean Teulé.
Delcourt/Mirages, 16,95 €, le 20 novembre 2013.
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Images © Delcourt / Olivier Roller.
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