Rivages lointains
En 1938 à Chicago, Jules, un livreur Italien de 17 ans, rêve de s’acheter un costume. Et scrute, envieux et admiratif, ceux qui les portent – les mêmes qui encaissent le coût de la protection qu’ils accordent à l’établissement où le jeune homme travaille… Avant de se faire remarquer par Adam Czar, l’un des fascinants patrons de la pègre locale. Quelques années plus tard, voilà que Jules a rejoint son équipe – et atterri dans son lit. Mais amour et ambition font rarement bon ménage… Surtout lorsque le jeune Italien prend plus d’importance dans le milieu que son amant, et devient ami avec Eufrasio, noceur amoral et grande gueule. Mais n’en disons pas plus sur l’intrigue, qui se déploie sur plusieurs décennies, deux continents et 240 pages d’une belle richesse.
De pouvoir, d’emprise, de trahison, de choix, de vengeance, d’émancipation, voilà ce dont il est question dans ce récit, tragique comme il se doit. Son protagoniste, lancé sur une destinée qui le dépasse, demeure tout à fait attachant, malgré la morale douteuse qu’il fait sienne et en dépit des moyens auxquels il doit recourir. Par son sujet et ses thèmes, Rivages lointains est souvent d’une grande violence ; mais celle-ci n’est que rarement montrée. Ici, une narration enlevée et une subtile représentation des émotions prennent le pas sur le spectaculaire.
Pour son premier album, Anaïs Flogny fait preuve d’une belle maîtrise narrative et graphique. Son trait gracieux confère aux personnages l’élégance adaptée à l’époque et au « milieu ». Et un mouvement, une énergie, qui rappellent évidemment Le Parrain, les films de Scorsese, mais aussi les Batman de Jeph Loeb et Tim Sale. La palette de couleurs douces, qui tournent autour du sépia – sauf pour quelques scènes dramatiques ou onirique – pourrait donner l’illusion d’une intrigue plus légère. Jusqu’à ce que la dureté du monde mafieux s’exprime dans le froncement d’un sourcil, une réplique implacable ou un découpage efficace. Voilà une histoire prenante, intense, qui se lit comme on regarderait un film de mafieux – on se prend d’ailleurs en le refermant à rêver d’une adaptation pour l’écran.
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