Robinson suisse
Ils sont suisses et naufragés. Et ont appris à survivre sur un archipel hostile et peut-être pas si désert. Car plus que la crainte de voir leurs maigres récoltes balayées par un typhon ou leur maison dans un arbre éventrée par un orage, c’est la peur de l’indigène qui les tenaille. Surtout s’il n’est pas chrétien. « On ne va tout de même pas partager notre île avec ces gens », résume, sûr de lui, l’un des grands garçons…
Alex Baladi (Décris-Ravage, (Autoportrait, Cosy, Vives voix, Renégat…) ne fait rien comme tout le monde, et c’est ce qui fait toute son intérêt. Ici, il s’est penché sur la vieille série télé canadienne Les Robinson suisses qu’il regardait enfant, inspirée d’un roman en langue allemande, du XIXe siècle. Mais lui s’est approprié une version traduite en français par Isabelle de Montolieu, qui s’était permis bien des libertés dans la transposition et avait même ajouté des chapitres. Baladi a donc décidé de partir de ces ajouts pour transposer, très librement lui aussi, cette aventure naïve, béate et finalement violente. D’un autre âge. Il met ainsi en scène une petite famille obsédée par l’évangile et l’étranger, craignant de devoir faire face à des hordes d’indigènes sanguinaires et bien peu chrétiens. Alors, que tout bien réfléchi, ce serait plutôt eux, les étrangers sur cette île… Baladi triture donc le feuilleton de base pour en faire une satire politique de la Suisse et de l’Europe d’aujourd’hui, sans jamais perdre la verve poétique qui est la sienne. Le rythme des séquences est curieux, les personnages n’ont pas tous le même degré d’expressivité, souvent relégués au rang de pantins flippants. Et surtout, l’auteur ajoute à son trait noir épais et reconnaissable un déluge de couleurs, de matière et de motifs (papiers découpés) impressionnant, donnant à l’ensemble une patine fantastique, tour à tour douce et cauchemardesque. En résonance avec ce vrai-faux récit de fin du monde. Surprenant.
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