Romain Dutreix et Toma Bletner revisitent la presse satirique!
Pour la deuxième année consécutive, Toma Bletner s’installe le temps des grandes vacances dans les cahiers d’été du journal Libération. Petit rappel, l’an dernier, avec son camarade Yassine, il nous avait fait découvrir de manière fort originale l’histoire du graphisme sous la forme de strips à la fois ludiques et instructifs. En 2015, il a du nouveau ! Tout d’abord, c’est avec Romain Dutreix qu’il renouvelle l’expérience, en conservant le même principe et le même format, mais en plongeant cette fois-ci dans l’histoire de la presse satirique.
En léger différé, BoDoï vous propose de retrouver, chaque lundi, et jusqu’à la rentrée, l’intégralité de cette Revue de Presse satirique et anticonformiste (les strips de la première semaine ici). Avant de découvrir la première série de strips, nous avons posé quelques questions au duo pour mieux comprendre leurs intentions.
Où est passé Yassine ? Il a décidé de prendre des vacances ?
T.B. : Pas vraiment ! Je lui avais parlé de ce projet autour de la presse en général et satirique en particulier, on avait commencé à échanger là-dessus, mais cet été il se retrouve à faire des ateliers à travers le monde (Berlin, Corée du Sud…). Vu que nos strips d’été dans Libé sont des créations pures, en flux tendu, on ne pouvait pas trop prendre le risque de se louper.
300 ans de presse satirique et non-conformiste racontés en strips de 3 cases chacun, d’où est venue cette idée ?
T.B. : En fait, j’ai la sensation d’un monde qui s’effondre dans la presse actuelle en France. Une sorte de zone étrange où les journaux, la distribution, sont en crise majeure de rentabilité, de sens, etc. Malgré tout, Charlie a montré après un événement clairement choquant les Français ont retrouvé le chemin des kiosques. Alors je me suis dit que c’était le bon moment pour aborder ce sujet et redonner un coup de projecteur sur l’importance majeure des journaux papier dans l’histoire. La création de journaux a toujours explosé lors des périodes de doute, de révolte et de changement… et je ne pense pas qu’Internet, la radio, la télé incarneront ça d’une manière aussi pure et radicale. Ce sont des supports trop contrôlés. J’ai l’impression que rien n’est plus puissant qu’une feuille de chou imprimée et remise entre les mains directement. Ce qui est imprimé fait date, et marque l’époque.
Romain et Toma, c’est la première fois que vous collaborez. Comment s’est constitué ce duo inédit ?
T.B. : J’étais vraiment chaud pour faire ça maintenant et Libé était partant. Alors j’ai pensé solliciter Romain avec qui j’avais bossé 15 ans auparavant dans LA PURÉE (pour le coup un journal non-conformiste publié pendant le festival d’Angoulême). Je l’ai contacté, il a tout de suite été enthousiaste, et assez pointu sur l’histoire en général. Je suivais son boulot dans Fluide Glacial, j’étais convaincu que son esprit collerait bien avec mon taf.
Romain, qu’est-ce que ce sujet vous a inspiré quand Toma vous l’a proposé ?
R.D. : Au début j’ai un peu hésité pour une raison qui n’a rien à voir, c’est que je m’étais juré de ne plus travailler sur les scénarios d’un autre (principalement en raison de mon caractère, car j’aime tout contrôler de A à Z). En plus, je déménage cet été, donc j’espérais ne pas avoir de gros boulot à faire en même temps ! Et pourtant j’ai fait une entorse à mon principe de travail solitaire et me suis ajouté cette charge de travail supplémentaire… Qu’est-ce qui m’a pris ?!!
Eh bien pour faire court, c’est d’une part à cause du sujet, et d’autre part à cause de l’opportunité graphique que ça représentait. Le sujet, c’était l’occasion, nécessaire vu le contexte, de replacer la presse satirique dans une perspective historique pour essayer d’en finir avec le tombereau de bêtises qu’on a entendues après le 7 janvier. L’opportunité graphique, c’était l’occasion unique de pouvoir dessiner autant de personnages différents, d’époques différentes. J’aime beaucoup dessiner les gens de différentes régions ou de différentes périodes, je trouve ça riche graphiquement. Dans un « récit » étalé sur trois siècles comme ici, bien qu’il ne se passe qu’en France, il y a quand même à dessiner perruques, redingotes, bas de soie, bicornes, hauts-de-forme, montres à gousset, barbes, moustaches, favoris, lorgnons, etc. Et l’Histoire est remplie de tronches amusantes à dessiner, en partie à cause de ces différentes modes capillaires, et qu’on a peu l’occasion de dessiner en temps normal. Mirabeau, Fouché, Louis-Philippe, Napoléon III, Jules Vallès, ils ont tous des têtes pas possibles (et parfois des costumes pas possibles non plus). C’est stimulant à dessiner, et comme c’est rare de pouvoir tous les dessiner d’un coup, j’ai dit banco.
Comment travaillez-vous sur cette série ?
T.B. : Pour ma part, je fais comme d’habitude, j’essaie de pondre des story-boards rédigés de la façon la plus précise possible, puis on en débat, on ajuste. Ensuite, Romain dessine (apporte des plus… il aime la précision, le détail), on débat un peu de l’ensemble, des couleurs et on envoie.
R.D. : Comme je suis habituellement mon propre scénariste, j’ai la double casquette, c’est donc d’abord comme scénariste que je lis les story-boards que Toma m’envoie. Comme je suis très très maniaque et très à cheval sur la vraisemblance des contextes, je vérifie bien tout à ce niveau-là, surtout les petits détails – l’objectif : que personne ne puisse écrire à Libé en nous reprochant d’avoir fait une erreur historique. Des fois ça vire à la sodomie de diptères comme avec la baignoire de Marat, par exemple : fallait-il la dessiner comme David l’a faite dans son tableau (en forme de baquet) ou comme elle était en réalité (en forme de sabot) ? Cruel dilemme… Donc je demande son avis à Toma qui doit se dire que je suis cinglé, et on tranche. Pour le reste, c’est comme un travail à deux normal : un ajustement de phrase par-ci, une retouche de dessin par-là, et hop.
Avez-vous déjà des retours après les premières semaines de parution dans Libération ?
T.B. : Oui pas mal ! L’année dernière, lorsqu’on avait travaillé sur le sujet du graphisme, on avait eu un grand nombre d’échanges avec la communauté des graphistes entre autres. C’est vraiment intéressant. Là, cette année j’ai des retours très variés, de passionnés d’Histoire, de collectionneurs… Ce qui est apprécié, c’est cet exercice de synthèse sans brader le sujet. On tente de tenir le cap !
R.D. : Je suis menotté à mon bureau, donc je ne vois personne ! Par conséquent, je m’en remets à Toma sur ce point.
Quels sont vos projets (ou actualité) respectifs pour la fin de l’année ?
T.B. : Avec Yassine on doit débuter notre projet de bouquin sur l’histoire décontractée du graphisme… on en saura plus en septembre. Et sinon, qui sait, peut-être un bouquin avec Romain sur notre travail de l’été ? À suivre…
R.D. : De mon côté, je continue Impostures, ma série de parodies de bandes dessinées chez Fluide Glacial. Sortie du tome 2 le 16 septembre (dans toutes les bonnes librairies bien sûr). Ça sera l’occasion d’une expo spéciale organisée par la librairie La Parenthèse de Nancy, à la rentrée. Quelques originaux seront aussi à Saint-Malo fin octobre dans le cadre d’une expo sur les 40 ans de Fluide Glacial.
Monsieur Strip
Par Toma Bletner & Yassine. Alter Comics, 25 €, avril 2012.
Impostures #1
Par Romain Dutreix. Fluide Glacial, 14 €, le 20 mars 2013.
Impostures #2
Par Romain Dutreix. Fluide Glacial, 14 €, le 16 septembre 2015.
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