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Run : auteur perfectionniste, éditeur enthousiaste – et inversement

11 mars 2013 |

run_introDepuis 2006 et le premier tome de Mutafukaz, Run n’a pas chômé. Car en plus de sa série et de ses dérivés, il gère avec brio l’une des collections de livres et bandes dessinées les plus cohérentes et excitantes de ces dernières années, le label 619. Qui a vu naître des perles comme Freak’s Squeele ou la revue d’art Hey!. À l’occasion de la sortie du quatrième et avant-dernier volume de Mutafukaz, nous avons appelé Run dans « sa caverne » de Roubaix, siège de l’éditeur Ankama. Et c’est un auteur de 37 ans humble, enthousiaste et amoureux des beaux livres qui nous a répondu, revenant sur les réussites, les difficultés et les projets de son jeune label.

Mutafukaz a commencé en 2006 et son rythme rapide laissait penser que la série pourrait être plus courte. Aviez-vous déjà en tête une aventure en cinq volumes?
run_etNon, au départ, je pensais que je pouvais tout raconter en trois tomes. Mais j’avoue que je gère super mal mon nombre de pages, et je me suis permis pas mal de digressions, d’abord pour me faire plaisir et ensuite pour faire plaisir aux lecteurs. Cela s’est répété avec le quatrième épisode: je pensais que ce serait le dernier, mais j’aurais dû faire l’impasse sur les détails de l’invasion extraterrestre. Or, j’avais envie d’une invasion digne de ce nom! Il fallait aussi commencer à relier les personnages et les événements entre eux.

L’invasion qui est au coeur de l’album est très spectaculaire. Quelles ont été vos références pour la mettre en scène?
À chaque épisode, j’essaie d’amener quelque chose de nouveau. Ici, j’ai clairement opté pour une approche « blockbuster »: même si on n’est pas encore au paroxysme de la série, il était logique qu’après la montée en tension et en puissance des trois premiers tomes on arrive à quelque chose de très physique. J’ai donc tout envoyé! Je me suis inspiré de souvenirs de films comme Independance Day ou Battle Los Angeles, tout en m’interdisant de les revoir. Ce ne sont pas de très bons films, mais ils possèdent chacun des éléments intéressants en termes graphiques ou d’immersion du spectateur. Pour ma part, je préfère toujours démarrer de l’anecdotique, coller au plus près de mes personnages pour montrer comment eux vivent un événement aussi extraordinaire qu’une invasion extraterrestre.

Avant d’être publié par Ankama, Mutafukaz a été refusé par de nombreux éditeurs. Aujourd’hui, les trois premiers tomes se sont déjà vendus à plus de 100000 exemplaires. Quel est votre sentiment sur ce succès?
Je ne regarde jamais dans le rétroviseur, et je perçois cela avec une certaine distance. Bien sûr, la série a ses fans, mais je ne suis pas sûr qu’elle ait autant d’ampleur que ça (on a même pas 2000 fans Facebook)… En fait, Mutafukaz a été tellement compliquée à sortir, et même si aujourd’hui j’ai le soutien total d’Ankama, je suis toujours dans le même état d’esprit : j’ai la tête dans le guidon, je suis déjà ailleurs, tourné vers l’avenir. Aujourd’hui, je planifie déjà l’année 2015… et je me rends compte que je suis déjà en retard!

run_freakVous dirigez le label 619 chez Ankama, qui a vu naître quelques belles réussites comme Freak’s Squeele, The Grocery ou Debaser. Quelle est votre ligne de conduite dans le choix des projets?
C’est l’affect avant tout. Quand je rencontre un auteur qui a un projet, il faut qu’on ait vraiment envie de faire quelque chose ensemble: avec Florent Maudoux (Freak’s Squeele) et Guillaume Singelin (The Grocery), on est comme des ados en classe qui dessinent sur leurs cahiers pendant que le prof parle tout seul! Si je rencontre le meilleur auteur du monde qui a une idée géniale, mais qu’il a le melon ou que le courant ne passe pas, ça ne sert à rien d’aller plus loin. Le label 619 n’a pas pour ambition de révolutionner la bande dessinée, nous voulons simplement faire des choses qui nous excitent tous. Dans des limites économiques raisonnables, évidemment. Debaser, par exemple, on l’a fait pour le kif, on était très enthousiastes, mais à un moment il a fallu arrêter les frais, la série n’ayant pas trouvé son public.

La série Doggybags semble emblématique de ce mode de fonctionnement à l’envie. Comment est-elle née?
J’étais au Comic Con de San Diego et je suis tombé sur de vieux EC Comics, des histoires courtes d’horreur. J’ai toujours adoré le format nouvelles, celles de Stephen King notamment. Et j’ai eu envie d’offrir cette récréation à mes copains auteurs, leur donner la possibilité de se faire plaisir sur 30 pages, dans un projet collectif cohérent, des récits de genre, très premier degré. Mais attention, je suis très à cheval sur la qualité. Je ne veux pas de parodie, je déteste ça, je trouve que c’est un genre méprisant, en un sens. Pour le premier tome, comme c’était un pari risqué, Florent Maudoux et Guillaume Singelin ont accepté de bosser sans avance sur droits. Ils ont accepté et le pari a été gagnant, car le premier tome s’est écoulé à 10000 exemplaires.

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C’est aussi une manière d’élargir votre cercle de collaborateurs.
run_posterOui, je m’en sers un peu comme d’un test pour de nouveaux auteurs, pour voir si on arrive à bien travailler ensemble. Mais je suis extrêmement pointilleux sur Doggybags, peut-être encore plus que pour les autres livres. Ce n’est pas parce qu’on produit des récits « d’exploitation » qu’on peut faire n’importe quoi. Je reçois des tas de projets qui n’ont rien compris à l’esprit, qui sont soit bêtement parodiques, soit des copies de copies de copies… J’attends des auteurs qu’ils aient bien digéré leurs influences et qu’ils comprennent notre démarche d’hommage.

L’autre série qui fait l’actualité du label 619 est The Grocery. Comment est-elle arrivée sur votre bureau?
Guillaume Singelin, alias Blacky, qui travaillait avec moi à la pré-production du long-métrage Mutafukaz, m’avait montré ses dessins de « puppets », ses personnages au design un peu enfantin… J’adorais, mais il n’y avait pas d’autre idée derrière. Puis il revient me voir en me disant qu’un scénariste, ancien photoreporter, Aurélien Ducoudray, l’avait contacté avec une idée intéressante. Blacky était très motivé, donc moi aussi. Et trois jours plus tard, dans l’émission « Café Crimes » de Jacques Pradel sur Europe 1, que j’écoutais tous les jours, j’entends Aurélien parler de sa bande dessinée Championzé. J’ai su que c’était un gars sérieux, avec qui on pourrait travailler. Ce qui me plaît dans The Grocery, c’est le mélange entre ces personnages au graphisme presque naïf et la violence incroyable du propos: le choc est énorme. En vérité, je suis presque un peu jaloux de ne pas réaliser cette série moi-même…

run_heyQuels sont vos prochaines sorties sur le label?
Il y aura notamment un spin-off de Freak’s Squeele, Funérailles (le 7 mai). À mon sens, c’est peut-être le meilleur bouquin de Florent Maudoux. Il a gagné énormément de maturité. Je sais qu’il a écrit Funérailles avant même sa série principale, à tel point que je trouve que – il ne serait sans doute pas d’accord avec moi – Freak’s Squeele pourrait être considéré comme un spin-off de Funérailles ! Il y aura aussi en juin Kustom Culture, un art book dans la lignée de L.A. Kingz, consacré à toute cette culture typiquement américaine des voitures customisées, des tatouages, de l’ambiance rockabilly… Et de nouveaux Doggybags, Monkey Bizness, Hey!

Tot, le grand patron d’Ankama, vous fait-il une confiance aveugle en tant qu’éditeur?
Aveugle, non… Mais il sait que je suis honnête et que j’ai la tête sur les épaules. Quand Anne m’a fait part de son idée de revue d’art [Hey!], je suis allé voir Tot avec une maquette, une évaluation du coût, etc. Il sait que je suis un grand pessimiste, que je vois toujours le verre à moitié vide, que j’ai imaginé 1000 scénarios catastrophe avant de présenter un projet… Alors il m’a dit que si je le sentais, il fallait tenter le coup. Et ça a marché.

Vous avez évoqué le long-métrage Mutafukaz. Où en est-il? Et l’adaptation animée de Freak’s Squeele, un temps envisagée?
Je suis toujours en lien avec le studio japonais 4°C. Même si ce n’est plus désormais de mon ressort, j’ai l’impression que c’est sur de bons rails. Mais il est bien trop tôt pour donner des détails ou même un calendrier. Pour Freak’s Squeele, nous avons fait l’erreur de communiquer alors qu’il n’y avait rien de signé… Résultat, tout le monde a l’impression que le projet est abandonné. Il n’est pas abandonné, il n’est tout simplement pas commencé.

run_tankLa bande dessinée numérique vous attire-t-elle?
Pour l’instant, non. J’aimerais bien que Mutafukaz soit « portée » sur écran, mais personne ne nous a, jusqu’ici, proposé d’approche intéressante. Avis aux amateurs! Car on ne veut pas se contenter d’un simple pdf en ligne, et on ne veut surtout pas tomber dans du dessin animé du pauvre. À Ankama, on est de vrais amoureux du livre, de l’objet bien fait. On y attache une grande importance et tant pis pour les coûts de fabrication ! C’est ce que nous avons fait pour Tank Girl – notre édition est de bien meilleure qualité que celle de Titan – ou pour Butcher Baker. D’ailleurs, pour le dessinateur Mike Huddleston, cette édition intégrale française est sa préférée, sa « director’s cut ».

Avec tous ces projets sur le feu, n’êtes-vous jamais épuisé?
Bien sûr, c’est éreintant. Mais je ne suis pas épuisé par mon propre univers, heureusement. Pendant des mois, je ne dessinais Mutafukaz que les week-ends, car il y avait tant de choses à faire : écrire et réécrire le long-métrage, mettre en place le label 619, gérer l’administratif, les factures, suivre les projets (j’ai beaucoup travaillé avec les auteurs sur les dialogues du premier The Grocery)… Je bosse vite, normalement il ne me faut qu’une année pour un tome de Mutafukaz. Et là, j’ai fait attendre mes lecteurs deux ans et demi… Je devenais fou! Mais je ne pouvais pas leur fourguer un truc vite fait, bâclé. Ça ne me ressemblait pas.

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Mutafukaz pourrait-elle continuer au-delà du 5e tome? Avec des collaborateurs?
Depuis un petit moment, je pense à un arc plus court, comme une petite suite dans laquelle je pourrais développer les relations entre mes héros Angelino et Vinz. Mais je ne pourrai pas laisser les rênes d’une telle suite à quelqu’un d’autre. Car même si je croule sous le travail, ce que je préfère par dessus tout, c’est fabriquer moi-même les choses, de la BD aux trailers vidéo. C’est mon truc, ma respiration.

Propos recueillis par Benjamin Roure

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Mutafukaz #4.
Par Run.
Ankama, 14,90€, le 14 février 2013.

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Commentaires

  1. Bonjour, avez-vous une date pour la parution du second tome de Monkey Bizness?

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