Sables noirs
Au départ, pour Troub’s, il y a eu une invitation, pour une résidence d’auteur. Où ? Au Turkménistan ! Puis vint le projet Prévert : une traduction en turkmène des poèmes de Prévert, illustrés par des dessinateurs et peintres locaux, projet que l’auteur doit superviser au centre culturel français d’Achgabat. Un projet humain, beau et simple, mais aussi ambitieux, dans un pays où on questionne encore beaucoup la liberté d’expression.
Troub’s, dessinateur-voyageur et maître dans l’art du carnet de voyage (comme le prouve le récent Va’a) livre ici un ouvrage sensible sur un pays en de nombreux points méconnu. Au Turkménistan, fragment du sud de l’ex-URSS, « c’est les silences qu’il faut entendre » ; ceux traduisant le peu de pratiques démocratiques, ceux imposés par le culte des chefs, encore très présent, ceux d’un pays convoité par les investisseurs étrangers (tout le monde pense que Troub’s travaille pour Bouygues). L’apprentissage de la démocratie est un long chemin, et le projet Prévert, une pierre à l’édifice.
Dans cette BD-carnet de voyage, point de jugement à l’emporte-pièce ! L’auteur refuse même toute critique facile : il représente les dialogues, décrit ce qu’il voit… l’esprit critique est en marche, la critique facile, jamais. Le trait à l’encre noire de Troub’s, d’une diversité infinie, se fait tantôt précis, comme pour traduire les lignes des nouveaux bâtiments post-soviétiques, tantôt plus fuyant comme une invitation au voyage et au rêve. L’importance accordée aux visages, d’inconnus ou d’artistes, est là pour nous rappeler que les voyages ne valent que par les rencontres que l’on y fait. La place de l’auteur reste centrale, son expérience, son voyage, est ici le terreau de son art.
La conclusion est cependant sans appel : « rien ne change vraiment au Turkménistan ». Ce très bel ouvrage reste toutefois une invitation à voyager, dans ce pays ou ailleurs, en aiguisant nos sens et en affutant notre réflexion.
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