Sandawe : un nouveau modèle d’édition qui démarre doucement
Lancée en janvier dernier et plutôt atypique, la maison d’édition Sandawe sortira ses premiers livres à la fin d’année. Des délais dus à quelques soucis pratiques, et aussi à la nécessité de convaincre les lecteurs et professionnels du livre du bien-fondé d’un nouveau concept en matière de bandes dessinées : le crowdfunding. Via le site de la société, les internautes sont ainsi invités à investir de l’argent sur des projets, sur la base d’un synopsis, d’esquisses, d’une bande-annonce, d’un blog… Une fois l’objectif financier atteint (environ 30 000 € par album), le livre entre en production, et les « édinautes » pourront, en cas de gros succès, espérer toucher un retour sur investissement. Sinon, ils auront juste eu la satisfaction d’avoir contribué à une création artistique… Depuis sa chambre d’hôpital, où il se remet d’un grave accident, Patrick Pinchart, ancien rédacteur en chef de Spirou et fondateur de Sandawe, revient sur les premiers mois compliqués de cette initiative inédite.
Comment est née l’envie de lancer Sandawe ?
Elle remonte à l’époque où j’étais rédacteur en chef de Spirou. Je choisissais et lançais des séries dans le journal et certaines étaient parfois arrêtées par l’éditeur, ou ne connaissaient jamais de version album. Le fait que l’éditeur, seul, puisse décider du destin de certaines séries, dont je savais qu’elles comptaient de nombreux fans, me gênait beaucoup. Au même moment, j’avais écrit un article sur Aka music, l’équivalent belge de My Major Company [des sites qui proposent aux internautes de coproduire les albums de chanteurs ou groupes, ndlr]. L’idée d’adapter le concept au monde de la bande dessinée est née de là.
Comment êtes-vous passé à l’action ?
Chez Dupuis, je m’occupais aussi du web, donc j’ai commencé à monter un dossier, petit à petit. Et quand on m’a proposé de prendre en charge l’aspect « archives » de l’éditeur, j’ai considéré cela comme une mise au placard. Alors, je suis parti et me suis lancé dans le projet Sandawe, que j’ai peaufiné pendant près de deux ans. Comme je suis très loin des préoccupations financières et des business plans, je me suis rapproché d’un professionnel en la matière qui a étudié la question de près. Il m’a répondu que mon projet avait du potentiel : il n’était pas certain qu’il soit véritablement viable, mais il trouvait que c’était une belle aventure, alors il m’a suivi !
Vous avez ouvert le site en janvier. Pourtant vous venez simplement de valider trois projets. Pourquoi un si long temps de gestation ?
Pour plusieurs raisons. D’abord, une fois le projet validé financièrement, nous n’avons eu que deux mois pour créer le site, car nous voulions être prêts pour Angoulême 2010. C’était un peu court, et le site n’était pas totalement satisfaisant à ce moment-là… Mais il existait et a suscité beaucoup de réactions. De l’intérêt, mais surtout du scepticisme. Et puis, j’ai eu un accident, qui m’a cloué au lit pendant plusieurs mois. D’ailleurs, je n’en suis pas encore tout à fait remis… Ensuite, je me suis séparé de mon premier partenaire financier, avec lequel j’avais finalement de profondes divergences sur le fond. Heureusement, j’ai pu trouver quelqu’un d’autre relativement vite. Mais tous ces aléas ont fait que le site a végété jusqu’en mai dernier.
Tout s’est accéléré à partir de là…
Oui, 15 jours après ma sortie de l’hôpital (d’où je travaillais à distance, comme je pouvais), un premier album trouvait son financement : Il Pennello. Maintenant que le site est actif et que la communauté grossit, les sceptiques sont moins nombreux !
Avez-vous été surpris qu’Il Pennello soit financé le premier ?
Un peu, car c’est un vrai projet d’auteur. Je pensais que les albums plus commerciaux atteindraient leur objectif financier en premier.
Avez-vous eu de moins bonnes surprises ?
Oui, mais c’est le jeu. Je pensais par exemple que Suivez le guide, scénarisé par Zidrou et dessiné par Godi, serait un des premiers projets validés. C’est un concept original et drôle, j’y crois encore, nous allons tout mettre en oeuvre pour qu’il trouve son public [à l’heure où cet article est publié, Suivez le guide n’a réuni que 7% de l’investissement nécessaire à sa publication, ndlr]. D’ailleurs, le site devrait connaître une nouvelle version à l’automne, pour mieux mettre en valeur les différents projets; il y a encore du travail à faire de ce côté-là.
Quelle est la ligne éditoriale de Sandawe ?
Il n’y en a pas ! Ce sont les « édinautes » qui la font. Mais bien sûr, il y a une sélection des projets en amont. Comme tous les éditeurs, je reçois deux ou trois projets par jour. Je ne les choisis pas selon mes goûts, mais selon des critères purement qualitatifs : qualité des dessins et du scénario, sens de la narration…
Une fois un projet sélectionné, comment cela se passe-t-il ?
Il ne s’agit pas d’une situation standard tranquille, dans laquelle l’auteur toucherait un à-valoir sur ses droits pour démarrer la création de l’album. Le principe étant d’attendre que les « édinautes » le financent. Nous signons un contrat d’édition qui lie l’auteur et Sandawe pendant un an. À partir de là, nous lançons une animation autour de son projet : création d’un blog dédié, montage d’un dossier explicatif (avec résumé, esquisses, planches…)… Nous avons remarqué que l’engouement des internautes se renforce si l’auteur est très actif dans la promotion de son projet.
Cette nouvelle forme d’édition demande plus d’engagement à l’auteur que l’édition classique. Il doit beaucoup travailler sans savoir si son projet aboutira un jour.
C’est malheureusement un peu le cas de tous les auteurs aujourd’hui… Mais combien d’auteurs voient leur livre sortir sans aucun accompagnement marketing ou démarche promotionnelle ? Combien de premiers tomes de série ne trouvent pas leur place parmi toutes les nouveautés et partent directement au pilon ? Combien de jeunes auteurs s’investissent dans un projet qui ne connaîtra jamais de suite ?
Mais leur livre existe et ils ont quand même touché un peu d’argent pour cela. Que répondez-vous à ceux qui pensent que Sandawe favorise la précarisation des auteurs ?
Ça me fait un peu mal d’entendre cela, car c’est totalement faux. En sollicitant la communauté, nous voulons éviter de mettre sur le marché un livre qui n’aurait aucune chance de s’imposer en librairies. Nous faisons tout pour aider les auteurs à se faire connaître, à susciter l’attente autour de leur album. Et il faut rappeler que Sandawe ne gagnera de l’argent que si les albums se vendent. Actuellement, nous ne sommes que deux à faire tourner le site, et nous ne nous rémunérons pas…
Les internautes qui investissent dans les albums peuvent-ils sérieusement espérer toucher de l’argent ?
Pourquoi pas ? Mais il n’y a aucune recette magique, il ne faut simplement pas mettre tous ses oeufs dans le même panier. Les édinautes doivent jouer leur rôle d’éditeur et ne pas se concentrer sur un projet en espérant ramasser le jackpot, mais au contraire diversifier leurs choix.
Comment comptez-vous développer le site ?
Notre communauté est pour l’instant assez réduite, mais nous ambitionnons de la voir atteindre 4000 à 5000 membres d’ici la fin de l’année. Nous allons sans doute ouvrir une nouvelle zone sur le site, dédiée à des projets intéressants, mais dont je ne suis pas certain du potentiel. Là, les édinautes pourront faire des promesses d’investissement, plutôt que payer tout de suite. Cela permettra d’élargir le champ des auteurs et des genres. Mais attention, je ne vais pas accepter n’importe quoi : je tiens à mon rôle d’éditeur ! Par ailleurs, nous allons communiquer auprès des libraires pour nous faire connaître, car nos livres vont rapidement être disponibles chez eux.
Quel est votre regard sur le lent développement de la bande dessinée numérique ?
Ce qu’on voit actuellement est très décevant. Nous sommes dans une période transitoire où l’on remplit les tuyaux avec n’importe quoi : on scanne des planches créées pour être lues en double-page, et on les fait rentrer dans un système de visionnage qui force à lire de manière verticale ou case par case. Ça n’a pas de sens ! Il faut que les éditeurs prennent conscience que les enfants d’aujourd’hui se moquent du fameux « contact avec le papier » : demain, ils liront des BD numériques. Il faut donc qu’il y ait de la création pour les écrans. Les premiers auteurs qui se lancent actuellement là-dedans défrichent le terrain, et payent parfois les pots cassés. Les éditeurs doivent aussi accepter qu’adapter la règle des 8 à 10 % de droits d’auteurs des ventes papier aux ventes numériques est absurde. S’ils persistent, les auteurs trouveront d’autres manières de diffuser leurs créations…
Propos recueillis par Benjamin Roure
Images © Sandawe éditions / E411-Zidrou / Allais-Perrotin / Vadot / Vervish-Lamy
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article et concept très interessant que j’ai déjà eu l’occasion d’aller voir sur le site ;
étant auteur amateur moi-même je suis interessé par l’idée et je pense même que mon projet serait doublement intéressant pour la maison d’édition car il peut se dévelloper de différentes façons ( albums , fasicules format comics et format numérique ) aussi je pense les contacter prochainement pour leur soumettre tout cela ( lorsque le dessin sera « stabilisé » et l’encrage des planches plus avancées ) ; aussi je leur souhaite une bonne continuation ainsi qu’un prompt rétablissement à son concepteur ! -
article et concept très interessant que j’ai déjà eu l’occasion d’aller voir sur le site ;
étant auteur amateur moi-même je suis interessé par l’idée et je pense même que mon projet serait doublement intéressant pour la maison d’édition car il peut se dévelloper de différentes façons ( albums , fasicules format comics et format numérique ) aussi je pense les contacter prochainement pour leur soumettre tout cela ( lorsque le dessin sera « stabilisé » et l’encrage des planches plus avancées ) ; aussi je leur souhaite une bonne continuation ainsi qu’un prompt rétablissement à son concepteur !
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