Sans panique
Romie a atterri sur l’île de Galguantes par accident. Celui de l’hélicoptère familial, écrasé sur un autre îlot tout proche. Récupérée par les habitants de cet étrange lieu, elle se refait une santé mais bouillonne: aucun membre de cette communauté, adultes comme enfants, ne semble ressentir la moindre émotion, ni joie, ni colère, juste une quiétude permanente soulignée par une inexpressivité du visage presque flippante. Alors que Romie, elle, trépigne, pleure, crie, tape, s’indigne, grommelle. « Si je devais donner un nom à ton état d’âme, ce serait l’apathite ! », lance-t-elle à sa copine née sur place, Danaé. « Si moi j’ai l’apathite, toi, tu as la débordante », rétorque son amie. Ensemble, elles décident de s’apprendre l’une l’autre le secret de leur tempérament, qui le calme, qui les émotions. Pas simple. D’autant qu’on annonce la chute d’une météorite et un possible raz-de-marée, événements face auxquels les habitants de Galguantes sont, comme d’habitude, insensibles…
Publiée par Jérémie Moreau dans la collection jeunesse « Ronces » qu’il dirige chez Albin Michel, Coline Hégron sort sa première longue bande dessinée chez Delcourt, et c’est une révélation. Comme l’écrit l’auteur des Pizzlys en préface, « Coline Hégron semble n’avoir jamais quitté la période de l’enfance débridée, elle en a conservé la naïveté. Par quel prodige a-t-elle pu progresser, élever son dessin à ce niveau en évitant si manifestement les sables mouvants du corset technique? » En effet, par la construction de son récit comme par la caractérisation de ses personnages ou ses dialogues d’une poésie brute, elle impose un ton et un style uniques à cet album. Abordant les question du deuil, de la résilience, de la solidarité, de l’ouverture aux autres et à leurs différences, l’autrice peint, à coups de pinceaux sans fioritures, un conte déstabilisant et touchant, dont l’histoire incohérente n’est que le prétexte à étudier l’interaction entre ses héroïnes et la si difficile expression des sentiments profonds. On pense, sur ce point et ces thèmes, à Jade Koo (Zoc), Mathilde Van Gheluwe (Magda, cuisinière intergalactique) ou Lucie Quémener (Baume du tigre, Les Yeux d’or), même si chacune de ces autrices a sa voix et son univers bien à elles. Et celui de Coline Hégron est aux frontières de la comédie familiale et du drame adolescent, avec une surcouche de bizarrerie attachante. Une expérience de lecture aussi déstabilisante qu’énergisante, pour laquelle on ne pourra regretter que le prix : près de 28 € pour une fabrication standard, ça refroidit. Et c’est extrêmement dommage car il s’agit là d’une oeuvre importante de 2023…
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