En décembre 2007, Mouammar Kadhafi plante sa tente dans la cour de l’Élysée, malgré les protestations des défenseurs des droits de l’Homme. Le chef libyen, dictateur depuis la fin des années 1960, est reçu en grande pompe par la France, lui qui jusqu’alors était persona non grata. C’est le début d’une relation ambiguë avec le président français, Nicolas Sarkozy, opportunément interrompue par la mort du “guide de la révolution” en octobre 2011, lors d’une guerre qui cache peut-être des secrets inavouables. Car très vite, se font jour des indices qui laissent transparaître des relations troubles, notamment financières, entre les deux chefs d’État, et posent de nombreuses questions : et si Kadhafi avait financé la campagne du président français, en échange de la garantie d’un retour sur le devant de la scène diplomatique ? Et si pour Sarkozy, l’ami des débuts était un jour devenu un secret embarrassant, dont il aurait préféré se débarrasser ? Quelle est la responsabilité du président français dans la crise libyenne, et la mort de Kadhafi ?

Cinq journalistes, enquêteurs pour des médias comme Radio France, Mediapart ou encore Le Canard enchainé, ont réuni leur documentation et ont croisé leurs sources, afin de livrer cette enquête hors du commun, de par sa complexité et ses ramifications. Parmi eux Fabrice Arfi, déjà l’auteur avec Karl Laske d’un ouvrage sur le leader libyen, Avec les compliments du Guide, ou encore Benoît Collombat, dont l’incursion dans l’enquête dessinée avait été remarquée lors de la parution de Cher pays de notre enfance, avec Étienne Davodeau. Pointu, synthétique, ambitieux, Sarkozy – Kadhafi, des billets et des bombes, laisse le lecteur incrédule devant les révélations. Car si les noms de Ziad Takkiedine ou de « Paul Bismuth » résonnent encore, l’affaire méritait si ce n’est un approfondissement, du moins un rappel. C’est désormais chose faite.

Au dessin, Thierry Chavant, dont les habitués de La Revue Dessinée reconnaîtront la mise en scène inventive, très cinématographique, et la narration nerveuse et fluide. Si le trait peut croquer parfois hâtivement certains visages, il a su donner à l’affaire politique un vrai visuel de récit d’action, ce qui confère à la BD un genre docu-fiction. Un « emoji » orange humanisé sert de médiateur entre le lecteur et le fond de l’enquête. C’est loin d’être inutile au vue de la complexité de l’affaire. De même, les documents reproduits en fin d’ouvrage font figure de pièces à conviction.

Cette production La Revue Dessinée / Delcourt impressionne, tant par le travail minutieux des enquêteurs que par la volonté de délivrer au plus grand nombre, grâce à la BD, la vérité sur une part sombre de la Ve république. Pour mettre un point final à cette affaire rocambolesque, reste à attendre le verdict de la justice. Face à elle et face aux multiples preuves, Nicolas Sarkozy continue à opposer, en 2019,  son déni comme seule ligne de défense.

Marc Lamonzie et Mathieu Péquignot