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Schuiten et Peeters rêvent d’un Paris futuriste

5 janvier 2015 |

Six ans après le second tome de La Théorie du grain de sable, François Schuiten et Benoît Peeters sortent le très attendu Revoir Paris, premier volume d’un diptyque. Bien qu’il ne fasse pas parti du cycle des Cités Obscures, l’album emprunte aux thèmes favoris de ses auteurs : la ville, le rêve et l’utopie. En parallèle, une exposition à la Cité de l’architecture à Paris, donne à voir les visions successives de Paris depuis le XIXe siècle, et ouvre un espace de débat sur ce que pourrait être le Paris du futur.

PEETERS & SCHUITEN NB (c) I Franciosa1

Comment est né le récit de Revoir Paris ?

François Schuiten : Nous avions ça en tête depuis pas mal d’années avec des tentatives un peu avortées comme les petits morceaux de récits que nous avons faits autour de Beaubourg, du Louvre et de l’Opéra. Nous nous heurtions à un problème : travailler « Pahry » comme on l’avait fait avec Bruxelles pour les Cités Obscures, c’était retrouver des réflexes qu’il n’était pas juste de développer sur cette ville. Avec les Cités, nous avions construit notre système et nous sentions qu’il fallait le briser pour retrouver une part de virginité. Nous voulions « attaquer » Paris d’une façon plus prospective. J’avais par ailleurs travaillé sur le Grand Paris avec Christian Blanc pour un projet qui ne s’était pas concrétisé.

Benoît Peeters : Beaucoup de choses se sont greffées autour du titre. Au départ, on pensait plutôt faire un album d’images avec un texte. Dès qu’on s’y est mis, c’est devenu une bande dessinée à part entière, autour de ce titre à double sens : revoir Paris dans un sens un peu nostalgique mais aussi revoir Paris pour le transformer et le réinventer. L’idée s’est imposée que le récit se déroulerait dans un futur assez lointain et mettrait en scène une jeune femme qui n’avait jamais vu Paris que dans les livres.

revoir paris_5Vous réalisez, conjointement à l’album Revoir Paris, une exposition du même nom. Entre la BD et l’expo, quel travail a guidé l’autre ?

B. P. : L’album s’est mis en route et le projet d’exposition s’y est ajouté assez vite avec le même titre, ce qui a enrichi notre démarche. Nous avons toujours cherché à nourrir nos histoires d’un travail de documentation. Pour nous, le terreau de l’imaginaire, c’est le réel.

F.S. : La bande dessinée est un travail tellement long. Chez moi, cela représente parfois plus de deux ans de réalisation graphique, que cela nous oblige à faire des choix convaincus car on sait que l’on va côtoyer cette thématique pendant un long moment. Cette fois, nous avons voulu faire un album qui trouve son complément dans cette exposition. Même si les deux peuvent se voir et se lire indépendamment.

Comment avez-vous construit l’univers graphique de cet album ?

F.S. : Beaucoup de gens voient de fortes différences avec les Cités Obscures. Pour chaque album, on essaye de changer des aspects de la technique narrative et graphique. Ainsi, les pages de Revoir Paris sont grandes, pour pouvoir aller plus loin dans les détails. Comme le personnage de Kârinh est au début seul dans un cocon, il était important de sentir la dimension charnelle du personnage pour que le choc sur Paris soit encore plus intéressant.

B.P. : On prend un risque qu’on n’avait plus pris depuis l’album La Tour, c’est de faire débuter l’histoire avec un personnage absolument seul. Pour le scénariste, c’est horriblement difficile. Tout tient sur elle, c’est à travers elle qu’on comprend le monde dans lequel on est et, petit à petit, l’univers se peuple. L’histoire est à la fois une sorte de space opera par son ampleur et hyper-intimiste.

De quelle maladie souffre Kârinh ?

B.P. : Kârinh est utopiomane. C’est un mot qui dit à la fois la quête de l’utopie et la maladie de l’utopie. Pour elle, c’est une addiction.

Pourquoi est-ce le Paris du passé qui hante les obsessions de Kârinh ?
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B.P. : On imagine que les télécommunications ont été brisées entre cette colonie spatiale et la Terre. Seuls les éléments de papier ont survécu, constituant une bibliothèque lacunaire. Pourquoi, en effet, aurait-on tout collecté dans les livres alors qu’on disposait d’Internet ? Mais un jour, les livres deviennent la dernière source de connaissance sur la terre. À partir de ces quelques images qui ont miraculeusement survécu, Kârinh se construit un Paris mental.

FS. : Du coup, la connaissance de Paris est parcellaire, elle ne voit pas la différence entre les fantaisies de Robida et la Tour Eiffel. Pour elle tout est vrai. En cela, son personnage est un peu comme les touristes chinois, japonais ou belges, en train de rêver cette ville, avec des clichés et un émerveillement un peu béat. Pour Kârinh, ce Paris qui la fascine tant se dérobe et devient insaisissable.

B.P. : D’ailleurs, quand elle arrive, son vaisseau se pose assez loin du Paris historique et elle n’arrête pas de demander : « est-ce que c’est Paris ? ». Pour elle Paris, ce sont les images, les monuments qu’elle a repérés. Beaucoup de gens qui arrivent par la banlieue en voiture ou par l’aéroport de Roissy pourraient se dire la même chose. Paris, ce n’est pas ça. On joue sur tous ces leurres.

Quand sortira le second volume de Revoir Paris et que nous apprendra-t-il ?

F.S. : Cette fois on sera vraiment dans Paris. On ne va pas vous faire deux fois le coup ! Même si je trouve que l’attente est un moment très beau… On a voulu que le tome 2 soit vraiment prospectif.

B.P. : Ce temps du fantasme, ce temps du désir et du Paris imaginaire était pour nous aussi important que le temps du confrontation avec la ville réelle et lui donne son prix et son sens. Sans trop dévoiler, le Paris de l’avenir ne sera ni un Paris de l’apocalypse ni le Paris de nos rêves. Il sera fait de contrastes et de couches de temps enchevêtrées. L’album devrait sortir en 2016.

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Dans l’exposition « Revoir Paris«  à la Cité de l’architecture, vous choisissez de présenter les visionnaires et les utopistes du passé, comme Albert Robida par exemple, qui imaginait des déplacements dans Paris en aéronefs. La ville de Paris est-elle, selon, vous passée à côté de quelque chose ?

F.S. : Oui peut-être. De très belles passerelles, par exemple, qui se croiseraient au dessus des rues. À l’exposition universelle il y a avait même des trottoirs roulants…revoir paris_7

B.P. : Et des immeubles pyramides d’Henri Sauvage remarquables ! Beaucoup de choses auraient pu se faire sans détruire la ville. Dans les années 1950-1960, certains projets qui nous paraissent extravagants aujourd’hui, étaient présentés comme le Paris de demain. Le Paris spatial de Paul Maymont représentait l’avenir. On pensait même que c’était alors la meilleure façon de protéger Paris : ne toucher à rien et construire au-dessus. La surface aurait été historique et touristique tandis que les habitants auraient vécu au dessus. Après tout, imaginer Paris spatial ou Paris sous la Seine n’était pas plus absurde que de construire une ville sur dalle à la Défense. C’est amusant de voir comme les regards changent et comme des projets qui nous paraissent réalisables ont choqué et comme des projets qui nous paraissent extrêmement choquants ont semblé préfigurer l’avenir. Dans les années 1950, personne n’avait le culte du Paris haussmannien comme aujourd’hui.

Pensez-vous que Paris manque désormais de vision ?

F.S. : Oui, aujourd’hui, on passe à côté d’une dimension d’utopie. Le projet du Grand Paris n’a pas pour l’instant d’incarnation très exaltante, il se concentre sur l’idée d’un métro à grande vitesse. Alors qu’il y a là l’occasion d’essayer de penser le développement de la ville. Comment passer cette terrible barrière du périphérique, comment redonner le sens et l’attractivité aux régions longtemps abandonnées : ce sont des enjeux qui demandent d’oser avoir des projets audacieux, effrayants, radicaux.

B.P. : Nous espérons que l’exposition, peut-être encore plus que l’album, sera un point de départ de débats, de discussions, de contre-hypothèses. Nous voudrions interpeller un peu ceux qui estiment que l’on ne peut plus rien faire, que la barrière entre les vingt arrondissements et les banlieues est immuable, que le tabou de la verticalité va se maintenir et, qu’au fond, Paris doit s’aménager. Cela nous a frappé de voir que les grands architectes internationaux comme Jean Nouvel réservent leurs projets ambitieux pour d’autres villes comme Sao Paulo ou Shanghai et se résignent à faire à Paris de la couture et de la réhabilitation. Pourtant, à l’avenir, il faudra bien construire car l’impératif de logement, par exemple, est énorme. Actuellement, on ne répond pas à cette demande et on emmène les gens défavorisés de plus en plus loin.

Quels sont vos projets ? revoir paris_6

F.S. : Nous avons beaucoup de projets en parallèle. Le Musée du Train de Bruxelles qui ouvrira ses portes l’année prochaine. Des projets de scénario de science-fiction ou d’affiches. Ou pour Benoît, son travail d’éditeur, de philosophe ou de voyageur…

Referez-vous ensuite, un album des Cités Obscures ?

F.S. : Sans doute, oui. Mais il faut que nous ayons la même émotion que nous avons eue à chaque album. Il faut qu’il y ait un désir et une nécessité absolue car l’engagement physique est considérable. La BD, c’est quand même très dur. Chaque page, chaque case, doit être chargée de rêve et de plaisir. On peut se tromper mais on ne peut pas sous-investir, ça se voit tout de suite.

Propos recueillis par Céline Bagault

 

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Revoir Paris #1.
Par François Schuiten et Benoît Peeters
Casterman, 15 €, novembre 2014.

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Images © François Schuiten/Casterman

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