Science et BD, mariage compliqué
Créer une bonne bande dessinée de vulgarisation scientifique représente un vrai défi. Car il faut concilier exigence technique et savoir-faire artistique. Zoom sur deux exemples récents(et pas totalement satisfaisants) : Fables scientifiques et Feynman.
Dans Fables scientifiques, tiré de son blog à succès, Darryl Cunningham démonte pas à pas les mystifications pseudo-scientifiques qui ont cours depuis des décennies. Du genre : l’homme n’est jamais allé sur la Lune, tout a été tourné à Hollywood; l’homéopathie peut guérir de tout; le réchauffement climatique est un mensonge, etc. Apportant des éléments factuels, tirés de l’histoire des sciences ou d’études récentes et sérieuses, il réfute tranquillement les arguments fallacieux des charlatans, capitalistes hypocrites, illuminés et autres théoriciens du complot. Car Darryl Cunningham est un militant : il plaide POUR la science, pour la vérité, CONTRE les affabulations et ceux qui veulent régner par la peur. Dans cette optique, le chapitre sur le vaccin contre la rougeole qui aurait été responsable de cas d’autisme est tout à fait efficace et réussi.
La démarche est donc intéressante et les sujets choisis pertinents. Mais la forme, elle, laisse à désirer. En effet, l’univers graphique de Cunningham est fort ennuyeux. Quand il n’utilise pas des images d’archives qu’il redessine ou reproduit tel quel, il brosse des personnages schématiques (qui évoquent un peu le style de JP Duffour, mais en moins charmant) dialoguant autour de la question du jour. Et tout est dans le même registre : des décors lapidaires, des aplats tristounets, des mises en scène les plus plates possibles, sans doute pour ne pas se laisser distraire par les dessins et se concentrer sur le texte… Mouais, l’argument ne tient pas, car on sait la force que possèdent les images dans une démonstration. Il n’y a qu’à voir ce que réussit à faire Marion Montaigne dans le même registre : dans Tu mourras moins bête, elle utilise aussi un personnage qui explore et explique, mais, par analogies et digressions, elle propose un vrai récit de bande dessinée, drôle, intelligent et savoureux. Et pédagogique.
Au final, même si on souscrit au parti-pris militant de l’auteur (qui est parfois un peu donneur de leçons), on ne pourra que difficilement réfréner un bâillement devant ces pages assez pauvres graphiquement, qui font perdre de la force à l’ensemble de la démarche. Peut-être cet ascétisme visuel sera-t-il plus pertinent dans un prochain ouvrage à paraître aussi chez Çà et là : Fables psychiatriques, dans lequel Darryl Cunningham évoquera ses années en tant qu’aide-soignant en service psy.
Fables Scientifiques.
Par Darryl Cunnigham. Çà et là, 18 €, mai 2012.
Achetez-le sur Fnac.com
Achetez-le sur Amazon.fr
Autre style et autre projet : Feynman, des Américains Leland Myrick et Jim Ottaviani, est une biographie dessinée du célèbre physicien Richard Feynman. Né en 1918 et mort 70 ans plus tard, ce scientifique génial et fantasque a participé à la conception de la bombe atomique américaine, mais a surtout reformulé la mécanique quantique. Prix Nobel de physique en 1965, il a également écrit de nombreux ouvrages et donné des conférences, qui l’ont posé comme un grand pédagogue. C’est tout cela qui est raconté dans cette épaisse BD de près de 260 pages, publiée l’an dernier aux États-Unis par First Second, et traduite en français par l’éditeur (plutôt scolaire et universitaire) Vuibert, qui avait déjà fait une incursion dans la BD avec Logicomix.
Grâce à un personnage hors du commun, bavard, charmeur et authentiquement fascinant, les auteurs – le scénariste a été ingénieur nucléaire et a déjà écrit plusieurs romans graphiques sur l’histoire de sciences – ont trouvé le bon candidat pour un livre parlant de physique quantique. Ils optent pour un découpage de séquences plutôt malin, prenant Feynman comme narrateur de sa propre vie, et multipliant les aller-retours temporels sans (presque) jamais créer de confusion.
Mais l’explication même de la théorie de et par Feynman est tout de même un poil difficile à suivre, ou en tout cas demande quelques bases élémentaires de physique et une grosse concentration. On atteint là les limites d’une bande dessinée trop didactique : aussi vulgarisée soit-elle, l’explication d’une théorie complexe se mue en un cours magistral que les codes et astuces graphiques de la BD finissent par parasiter au lieu d’illustrer. Et le dessin de Myrick, qui avait fait le choix judicieux d’un trait neutre et d’aplats sobres, se révèle finalement plutôt ennuyeux au bout d’un si long livre – notamment en raison d’un manque d’expressivité pénible des personnages.
Les scientifiques de profession ou les étudiants qui se destinent à cette carrière trouveront dans ce livre de nombreux passages excitant intellectuellement. Les autres se raccrocheront au portrait d’un type hors du commun, un génie véritable dont il n’est pas nécessaire de comprendre les trouvailles pour prendre plaisir à l’accompagner au fil des pages.
Feynman.
Par Leyland Myrick et Jim Ottaviani. Vuibert, 21 €, mai 2012
Achetez-le sur Fnac.com
Achetez-le sur Amazon.fr
-
Bon c’est en anglais, mais je recommende l’explication suivante du boson de Higgs pour la clarté en BD :
http://www.phdcomics.com/comics.php?f=1489 -
Bon c’est en anglais, mais je recommende l’explication suivante du boson de Higgs pour la clarté en BD :
http://www.phdcomics.com/comics.php?f=1489 -
– On a compris quelque chose quand on est capable de l’expliquer à son tour. Je doute que ceux qui verront cette vidéo expliquant le Boson de Higgs en seront capables, d’autant plus que comme dit le type à plusieurs reprises, il reste encore pas mal de zones d’ombre. Si on ne sait pas si la structure constituée de particules en compte douze ou un nombre infini, ce n’est plus vraiment une structure, mais plutôt de la soupe, selon moi. Le Boson n’est d’ailleurs qu’une hypothèse scientifique, contestée, et non une science expérimentale pour l’instant.
Attendons donc de voir si les milliards d’euros dépensés par le CERN pour trouver le Boson aboutissent avant de s’exciter. Le problème de la recherche scientifique, quand elle bénéficie de financements aussi importants, c’est qu’elle est perpétuellement en train de chercher du pognon : avant même qu’une expérience soit terminée, il faut convaincre les investisseurs de vider leurs comptes en banque une deuxième fois. D’où un « enthousiasme de rigueur » chez ce type de « scientifiques ».– Précédemment le mathématicien et technicien Feynman est présenté comme un grand pédagogue ; cependant je doute qu’il y ait une personne sur 10.000 à connaître ses théories paradoxales ou ses formules, dont il s’est à l’occasion dit incapable de dire la signification.
– Pour ce qui est des théoriciens du complot (le comploteur, c’est toujours le voisin et jamais soi), le mieux est de ridiculiser leurs théories en place publique, plutôt que de multiplier les démentis officiels et les ouvrages pédagogiques : ceux-ci font penser aux adeptes des théories du complot qu’il n’y a que sur internet qu’on peut s’exprimer librement.
-
– On a compris quelque chose quand on est capable de l’expliquer à son tour. Je doute que ceux qui verront cette vidéo expliquant le Boson de Higgs en seront capables, d’autant plus que comme dit le type à plusieurs reprises, il reste encore pas mal de zones d’ombre. Si on ne sait pas si la structure constituée de particules en compte douze ou un nombre infini, ce n’est plus vraiment une structure, mais plutôt de la soupe, selon moi. Le Boson n’est d’ailleurs qu’une hypothèse scientifique, contestée, et non une science expérimentale pour l’instant.
Attendons donc de voir si les milliards d’euros dépensés par le CERN pour trouver le Boson aboutissent avant de s’exciter. Le problème de la recherche scientifique, quand elle bénéficie de financements aussi importants, c’est qu’elle est perpétuellement en train de chercher du pognon : avant même qu’une expérience soit terminée, il faut convaincre les investisseurs de vider leurs comptes en banque une deuxième fois. D’où un « enthousiasme de rigueur » chez ce type de « scientifiques ».– Précédemment le mathématicien et technicien Feynman est présenté comme un grand pédagogue ; cependant je doute qu’il y ait une personne sur 10.000 à connaître ses théories paradoxales ou ses formules, dont il s’est à l’occasion dit incapable de dire la signification.
– Pour ce qui est des théoriciens du complot (le comploteur, c’est toujours le voisin et jamais soi), le mieux est de ridiculiser leurs théories en place publique, plutôt que de multiplier les démentis officiels et les ouvrages pédagogiques : ceux-ci font penser aux adeptes des théories du complot qu’il n’y a que sur internet qu’on peut s’exprimer librement.
Commentaires