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Sélection Comics – Decorum

17 mars 2021 |

decorum-couvLa dernière création du scénariste Jonathan Hickman (House of X/Power of X, East of West) ne laissera pas indifférent. Expérimental dans son fond comme dans sa forme, sublimé par le travail protéiforme du dessinateur Mike Huddleston, cet objet radical ne prend pas le lecteur par la main. Mais pour peu que l’on s’abandonne à ce magma d’idées, de concepts, de partis pris esthétiques marqués, de coups pour rien et de coups de maître, Decorum offre un dépaysement sans pareil. Une expérience qui tient autant de la BD que de l’installation artistique et qui vaut le coup d’être parcourue.

La première chose que vous risquez de vous dire en feuilletant les premières pages de Decorum, c’est que cet album n’est pas pour vous. Un space opera cosmique parfois abscons, qui saute d’un style graphique à l’autre sans jamais se justifier, entrecoupé d’annexes au design austère… Pas très accueillant. Voire carrément hermétique. Ce serait pourtant dommage de renoncer à une telle proposition de voyage total, sur la seule foi d’un carton d’invitation peut-être maladroitement rédigé.

Car elle rivalise d’austérité au premier abord, cette nouvelle création du prodige Jonathan Hickman. Le scénariste du moment, dont on adore les runs sur les X-Men ou les Fantastic Four, est un savant fou mégalo qui conçoit ses univers jusque dans leurs moindres détails de manière obsessionnelle. Un bâtisseur de mondes qui a un peu pris l’habitude de livrer ces derniers en kit, à remonter soi-même, entrelardant chaque séquence d’annotations techniques aussi palpitantes à parcourir qu’une notice de meuble Ikea. L’homme vient du web design et fait parfois l’erreur de croire que le cadre prime sur les histoires et celle de confondre ses lecteurs avec des développeurs en attente de specs. C’était la force en même temps que la limite de sa première BD, Pax Romana, uchronie SF aussi stimulante qu’exténuante.

decorum4Il ouvre ici son récit sur les tribulations cryptiques d’un clergé de l’espace, apparemment confronté à des hérétiques. On dit apparemment car on n’a rien compris, si ce n’est que tout le monde – missionnaires, archiprêtres et religieuses renégates – s’y accorde sur l’importance d’un œuf…

Visuellement, c’est époustouflant, parcouru de visions renversantes. Le dessinateur Mike Huddleston, dont on se souvient des audaces graphiques sur Butcher Baker ou Homeland Directive, sort le grand jeu. Mais Hickman, lui, se complait dans un pudding ésotérico-politique sous forte influence jodorowskienne peuplé de figures désincarnées. Ce n’est clairement pas ce qu’on préfère dans Decorum.

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Heureusement, le scénariste entrelace cette première intrigue avec une seconde, plus intelligible, qui se déroule en parallèle (on imagine) à l’autre bout de la galaxie. Hickman y consent à se plier à une narration plus traditionnelle pour mettre en scène une élégante tueuse à gages prenant sous sa coupe une jeune coursière pour en faire son apprentie. C’est drôle, rythmé et on le redit, intelligible. Sans que cela ne bride aucunement la créativité de Huddleston, bien au contraire. Comme à son habitude, l’artiste saisit chaque occasion qui lui est donnée pour redoubler d’inventivité et de virtuosité technique. Et quelle démonstration !

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decorum2Peinture à l’huile ou palette graphique, crayonné débraillé ou photoréalisme, son style bondit d’une envie à l’autre, d’une influence revendiquée à une autre, entre deux séquences, parfois sur une même page, voire au sein d’une seule case.

À la couleur, il va même encore plus loin, s’autorisant les partis-pris les plus audacieux, laissant ici tel personnage vierge de teinte, faisant au contraire là flasher un décor en couleurs pop, parce que c’est son choix. Déstabilisant au départ, le procédé finit par faire son petit effet. Chacune de ses décisions interpelle, interroge, provoque un décalage, et propulse le projet dans une autre dimension.

Rarement on aura eu le sentiment de perdre à ce point nos repères dans une œuvre de SF, comme un aller-simple à l’autre bout des étoiles devrait pourtant s’en donner l’objectif à chaque fois. C’est jet-laggé que l’on termine ce premier volume édité par Urban (une fois n’est pas coutume, dans une très beau format à l’européenne), pas certain d’en avoir assimilé toutes les subtilités, mais comme encore euphorique des effets de l’apesanteur. Et prêt à emboîter le pas de ses deux héroïnes, la redoutable Imogen Smith-Morley et la dilettante Neha Nori Sood, pour la suite de ce trip sidéral et sidérant.

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Decorum #1
Par Jonathan Hickman et Mike Huddleston.
Urban Comics, 21 €, le 12 mars 2021 (tome 2 prévu pour le 25 juin).

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