Sélection Comics – East of West
La Sélection Comics vous propose un focus sur un titre anglo-saxon qui vous sortira de la routine super-héroïque. Zoom ce mois-ci sur une des séries les plus excitantes du moment, par son ambition tant scénaristique que formelle : East of West, de Jonathan Hickman et Nick Dragotta.
Les idées reçues sur les comics ont la peau dure. Voyez-vous, cette chronique sur le premier volume de East of West, nouvelle série de chez Image éditée par Urban Comics, on l’avait d’abord envisagée comme un hommage au talent de scénariste de Jonathan Hickman. En une poignée de titres, de l’éblouissant Pax Romana au très amusant Projets Manhattan, l’auteur californien s’est imposé comme une nouvelle valeur sûre de l’édition américaine. East of West, splendide épopée crépusculaire chassant sur les terres du American Gods de Neil Gaiman ou, plus explicitement, de La Tour Sombre de Stephen King, confirme une fois de plus son talent de conteur. Lui attribuer le seul mérite de cette réussite était tentant.
Mais ça, c’était avant de lire une interview de Nick Dragotta accordée au site Comic Book Resources. Le dessinateur de la série a mille fois raison d’y déplorer la méconnaissance qui entoure généralement le mode de confection des comics et conduit à trop souvent réduire le dessinateur au statut d’illustrateur. La BD est évidement un art collaboratif, même aux États-Unis. À plus forte raison quand on s’aventure dans le territoire du creator owned, cette branche de l’édition qui reconnaît la propriété de leurs personnages à ceux qui les ont imaginé. C’est le credo d’Image, maison fondée justement en réaction à l’exploitation de leurs auteurs par les ogres DC et Marvel.
East of West propose une relecture originale du mythe des Cavaliers de l’Apocalypse. Tout commence en 2064 avec l’éveil de Famine, Conquête et Guerre. Le quatrième larron, Mort, demeure introuvable. Faute de le localiser, les trois redoutables guerriers (coincés dans des corps d’enfant) décident de s’acquitter sans lui de leur mission : mener le monde à sa perte. Leur première cible sera le président des États-Unis. Ou plutôt le président des Sept Nations, puisque dans le monde d’East of West, l’Amérique s’est fédérée ainsi au sortir de la Guerre de Sécession.
Hormis ce recours à l’uchronie, qui fait immédiatement penser à du Hickman pur jus, East of West est bel et bien une création à quatre mains dans laquelle il serait vain de tenter de distinguer la paternité de l’un ou l’autre des co-auteurs sur telle ou telle idée.
L’univers de la série est un foisonnant patchwork d’imageries puisées dans divers genres qu’ils ont tous deux nourri à part égale. Mort, le vrai « héros » de cette aventure, est un cowboy fantomatique et fine gâchette, lointain cousin du Clint Eastwood de Pale Rider, chevauchant un étonnant hybride mécanique de mustang, de scarabée et de moto. Son itinéraire funèbre l’amènera à croiser à New Shanghai les troupes caparaçonnées d’un descendant de Mao pour des scènes de bataille sidérantes convoquant le film de sabre.
Les monumentales pleines pages qui jalonnent l’ouvrage semblent en provenance directe du futur. Mais c’est dans la narration que la collaboration entre les deux auteurs donne toute sa mesure, avec par exemple ces belles cases en forme de lettres pour composer des onomatopées ou ces arrière-plans composés uniquement de cris quand Mort accompli sa sinistre besogne.
Pour boucler la boucle de cette démonstration de force collective, on serait bien tenté d’y ajouter le nom d’un troisième larron, celui du coloriste Frank Martin, dont le boulot (sur le rouge notamment) achève vraiment de faire d’East of West un des albums les plus séduisants de ce début d’année au rayon comics.
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East of West #1.
Par Nick Dragotta et Jonathan Hickman.
Urban Comics, coll. Indies, 15 €, le 21 février 2014.
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