Sélection Comics : Echolands
Récemment couronné du Prix du meilleur comics 2023 par l’ACBD, Echolands est assurément la claque graphique de l’année. Créée par l’un des artistes les plus talentueux de sa génération, J.H. Williams III, sublimée par un format à l’italienne exploité à la perfection, cette série à l’imaginaire débridé promet les frissons d’un tour de manège à sensations fortes. Attachez vos ceintures !
C’est fou la force de l’habitude. Une BD ça se publie en planches verticales, c’est comme ça et pas autrement ? Preuve que non avec Echolands, éditée et surtout conçue dans un format à l’italienne qui change tout. Mais alors vraiment tout ! On connaissait le talent fou du dessinateur J. H. Williams III, vu notamment à l’œuvre sur un run de Batwoman mémorable aux compositions virevoltantes et aux rouges incandescents. Ici, en indépendant chez Image Comics, et donc affranchi des contraintes des gros éditeurs, il se libère une deuxième fois par ce basculement horizontal de la page. Sans avoir besoin de forcer l’expérimentation graphique ou les audaces narratives, il réussit à repousser les limites du médium en toute simplicité, comme peu osent s’y essayer.
L’intrigue est assez sommaire : Hope Redhood est une voleuse, qui a eu la mauvaise idée de subtiliser un puissant artefact au caïd local, le Magicien, dans un San Francisco chimérique, mi-heroic fantasy, mi-steampunk, mi-SF… mi-tout en fait. Il est question de magie, de vampires et loups-garous, de méchas, dans un joli œcuménisme de tous les imaginaires possibles. L’écriture co-signée W. Haden Blackman ne dépasse pas vraiment celle d’une (excellente) campagne de jeu de rôles et les personnages, le statut d’archétypes, mais c’est voulu, comme en atteste la présence amusante d’un oracle/maître du jeu qui s’adresse au lecteur entre deux chapitres et intervient aussi, à l’occasion, plus directement dans l’histoire.
Le scénario importe peu car ce qui compte ici, c’est le mouvement. Perpétuel, constant, ininterrompu. Dans cet univers pensé comme un parc à thème avec ses secteurs nommés La Colline de l’Horreur ou L’île au Trésor, J. H. Williams III propose le plus jouissif des tours de manège. Un ride à 100 à l’heure à la sensation de vitesse décuplée par des doubles pages la plupart du temps filées, qui s’enchaînent comme filmées dans un impressionnant travelling latéral en Cinémascope. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que les cases sont truffées de références au 7e art (ici Cronenberg, là les films de la Hammer ou Kubrick) : si Echolands était une fiction en prises de vue réelles, elle se regarderait sur grand écran et surtout pas sur un misérable smartphone.
La cavale de Hope et sa petite troupe, poursuivis par les hommes du Magicien et sa redoutable fille cyborg-sorcière-mutante, ne se lit pas, elle se vit : de gauche à droite, de bas en haut, de loin en près, en avant, en arrière, c’est rare d’avoir à ce point le sentiment de se déplacer dans un ouvrage comme on se meut dans un jeu vidéo. En enlumineur virtuose, J. H. Williams III truffe chaque planche de milliers de détails et excelle surtout dans le level design : chaque environnement, déployé dans un style graphique différent (anime, photoréaliste, couleurs vives, noir et blanc…), donne lieu à des jeux d’échelle savamment pensés pour renforcer l’immersion. Ce qui prime ici c’est le dépaysement et il y a dans cette odyssée quelque chose qui se rapproche de la BD de voyage séminale : le Little Nemo de Winsor McCay. Comme les lecteurs du début XXe siècle entrevoyant pour la première fois, en parcourant son Slumberland, les possibilités infinies de cette nouvelle forme d’expression qu’était la BD, on a l’impression en traversant ces Echolands de redécouvrir vraiment ce que cet art, entre les bonnes mains, peut être. Un enchantement.
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Echolands #1
Par J. H. Williams III et W. Haden Blackman.
Panini Comics, 39,95 €, juin 2023.
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