Sélection Comics – La Ligue des gentlemen extraordinaires Century
La Sélection Comics vous propose un focus sur un titre anglo-saxon qui vous sortira de la routine super-héroïque. Retour ce mois-ci sur une série complètement dingue d’Alan Moore et Kevin O’Neil, La Ligue des gentlemen extraordinaires. Et surtout sur son arc Century, dont le deuxième volume (1969) emmène le lecteur dans un délirant Swinging London.
Après un 1910 crépusculaire, 1969, le deuxième tome de la trilogie Century, plonge dans le psychédélisme du Swinging London à plein tubes. Mais pas celui des Beatles. Dans le monde de la Ligue, n’existent que les Rutles, leurs homologues parodiques. Logique, puisqu’ici la fiction prime toujours sur la réalité. Et de toute façon, le cœur de Alan Moore penche visiblement plutôt du côté des Stones, lui qui met en scène ici un faux Mick Jagger.
Ce dénommé Terner se trouve mêlé aux machinations d’Oliver Haddo, le grand méchant de Century qui cherche à faire naître un Antéchrist baptisé l’Enfant-Lune. Lancés à ses trousses dans les bas-fonds de Londres, Mina Harker, Alan Quattermain et Orlando (le personnage immortel de Virginia Woolf) se confrontent à plusieurs monde interlopes et malicieusement connectés : l’occulte, la pègre locale, l’underground rock.
Comme d’habitude, les personnalités plus bigarrées les unes que les autres se bousculent dans les pages de 1969. Souvent de vieilles connaissances, d’ailleurs, et on mettra en garde le lecteur qui s’aventurerait dans ce volume sans avoir d’abord consulté le Black Dossier. Ce special, paru entre le Volume II de la Ligue et la première partie de Century, est inédit en France et réservé donc aux anglophones. Le Black Dossier prend place pour partie en 1958 et certains événements de 1969 en découlent directement. Autant le savoir.
De toute façon, que l’on ait lu ou pas le Black Dossier, la Ligue est un univers désormais tellement fécond, référencé et, il faut le dire, british, qu’il est difficile de ne pas se sentir frustré en parcourant les pages de 1969, grouillant de clins d’œil textuels et visuels. Heureusement, Jess Nevins, le bibliophile fou qui s’est fixé pour mission d’annoter chaque volume de la Ligue, continue de proposer le compendium en ligne indispensable aux insatisfaits. En VO seulement, là encore.
Que l’on fasse ou non son deuil de pouvoir appréhender toutes les subtilités de 1969 n’empêche pas au demeurant de profiter du travail, comme toujours remarquable, de ce dingue de Kevin O’Neill au dessin, aussi à l’aise dans les ruelles craspec de la capitale britannique que dans le QG so chic de Mina avec son mobilier d’époque. Chez O’Neill comme chez Moore, la jubilation est manifeste à croquer l’atmosphère de la fin des sixties. En 1969, Moore avait 16 ans. Le barbu libertaire saute à pieds joints sur l’occasion de revenir sur cette période de libéralisation des mœurs, notamment sexuelles.Même cette coincée de Mina est méconnaissable, partante pour toutes les expérimentations… Kevin O’Neill ne se fait pas prier pour glisser une fille nue et/ou un sexe masculin dans une page sur deux. Bref, c’est la bacchanale. Surtout que les drogues récréatives sont de la partie, inspirant aux auteurs des pages barrées comme il se doit, éclatant les cases et le lettrage pour proposer des visions fantasmagoriques, tordues et tordantes.
Mais tout n’est pas totalement rose en 1969 et, derrière la légèreté des mœurs, le trio de héros accuse un peu le coup du temps qui passe. Doués de la jeunesse éternelle (pour mémoire, Allan et Mina s’étant baignés dans une fontaine de jouvence, ils affichent comme Orlando une invariable trentaine), ils n’en sont pas moins de plus en plus anachroniques. Pathétiques même, quand ils se surprennent à vouloir singer le parler des branchés londoniens. Vestiges d’une époque où la littérature était reine et eux, ses champions, ils peinent à trouver leur place dans ce nouvel âge qui a consacré une autre culture dominante, la pop, et de nouvelles idoles. Au gré d’une vision fugace du futur, ils auront même l’occasion de mesurer à quel point l’avenir s’annonce sombre. Mais ça, ce sera pour le troisième et dernier volet de Century, 2009, annoncé au Royaume-Uni pour cet été.
Guillaume Regourd
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La Ligue des gentlemen extraordinaires , Century T2 : 1969
Par Kevin O’Neill et Alan Moore.
Delcourt, octobre 2011.
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