Sélection Comics – Mister Miracle
La Sélection Comics vous propose un focus sur un titre anglo-saxon qui vous sortira de la routine super-héroïque. Zoom sur la géniale réinvention par le duo Tom King et Mitch Gerads d’un personnage de chez DC imaginé par Jack Kirby et tombé dans l’oubli. Mister Miracle, un monument pop méta d’une maturité bluffante, récompensé cette année aux Eisner Awards.
Confier à des auteurs en vue des héros de l’ombre de son prolifique catalogue, pour les moderniser en toute liberté, est une vieille tradition chez DC Comics. Parmi les coups de maître historiques de l’éditeur : le Swamp Thing réinventé par Alan Moore ou l’Animal Man revu et corrigé par Grant Morrison. En 2017, c’est à Tom King qu’est donné carte blanche pour réhabiliter le méconnu Mister Miracle, déjà ressuscité brièvement, tiens, par Morrison dans son Seven Soldiers. Et le moins que l’on puisse dire c’est que King, qui s’était déjà illustré chez Marvel sur un Avenger de seconde zone, The Vision, lors d’un run remarqué, n’a pas joué la sécurité et qu’il se montre à la hauteur de ses prestigieux prédécesseurs, en étant à la fois post-moderne et pertinent.
Un mot sur Miracle Man, pour commencer : pour ceux qui ne seraient pas familiers des New Gods et du Fourth World imaginés par Jack Kirby au début des années 1970, Mister Miracle est le fils biologique du Haut Père, dieu souverain de la planète New Genesis. Au gré d’un accord diplomatique, il a été élevé sur l’affreuse Apokolips par le grand méchant Darkseid. Tout cela est présent et même bien présent dans la mini-série de Tom King et de son comparse sur Batman et Sheriff of Babylon, Mitch Gerads, au dessin et à la couleur. Un prologue bien utile nous restitue le contexte. Mais il y a un autre aspect du personnage qui intéresse encore plus les deux auteurs : en plus d’être une entité supérieure, un général embarqué dans une sévère guerre interstellaire contre les armées d’Apokolips, Mister Miracle mène aussi en parallèle une vie beaucoup plus banale sur Terre.
L’homme sous le masque jaune et rouge, c’est Scott Free, le bien nommé (en anglais, l’expression signifie « se faire la malle »), connu pour se produire sur scène dans des shows à la Houdini dont il se tire aisément car doué du super-pouvoir de s’échapper de tout. King et Gerads se régalent du contraste entre les palais et champs de bataille extra-terrestres disproportionnés et le modeste appartement de Los Angeles que Scott partage avec sa super-compagne, la colossale Big Barda. Par le biais de téléportations simples comme un claquement de doigts, le couple divin navigue régulièrement entre les deux environnements, sans changer de conversation. Les auteurs prennent un malin plaisir à les dépeindre combattant des armées entières à main nues en calant un rendez-vous avec le pédiatre pour le petit dernier. Les dialogues sont délicieux (« Si tu peux t’échapper de tout, essaie donc de nous sortir de ça », se moque Big Barda alors qu’ils sont coincés dans les bouchons californiens) et on retrouve là un bel hommage à Kirby, qui se basait pour faire converser Mister Miracle et Big Barda sur sa propre relation avec son épouse Roz.
La lecture de ce Mister Miracle est une expérience totale. S’amusant avec les codes du comics d’auteur, surjouant le méta (les T-shirts Batman ou Flash que Scott arbore quand il se balade à LA), Tom King laisse planer de gros doutes sur ce qui se trame vraiment dans cette aventure : si le lecteur et son héros sont aussi paumés, c’est peut-être qu’une vaste machination est à l’œuvre et se révélera dans les ultimes pages. Ou pas. Ou un peu. Il vous faudra, pour en avoir le cœur net, avaler les plus de 300 pages que compte cette aventure parfois absconse, au rythme très délié. Impression renforcée par le parti pris graphique du gaufrier de 9 cases, la marque de fabrique du duo King-Gerads, en guise de découpage unique. Cela peut rebuter.
Mais d’une, King et Gerads, spécialistes du gaufrier, font usage de cette contrainte avec une imagination qui force le respect, alternant les styles graphiques et déployant des trésors d’ingéniosité pour justement briser sa monotonie. On pense aux 20 pages d’infiltration dans la grande base d’Apokolips, à la mise en scène ahurissante, qui tiennent la dragée haute aux old gods Kirby et Steranko. De deux, le caractère volontairement répétitif de cette grille ne fait que traduire visuellement les tourments intérieurs du héros : le roi de l’évasion Scott Free est un type écrasé par les attentes qui pèsent sur lui (comme dieu, comme chef de guerre, comme fils, comme mari et puis comme père) et son plus grand triomphe sera d’apprendre à cesser de se dérober à ses responsabilités. King et Gerads se fichent bien, dans le fond, des affrontements cosmiques souvent traités avec beaucoup de recul et d’humour. C’est le cheminement d’adulte de cet immortel trentenaire qui les intéresse et le portrait qui en découle est d’une justesse rare, abordant avec délicatesse sa dépression. Les scènes les plus réussies sont celles qui nous plongent dans l’intimité du couple Mister Miracle-Big Barda, jusque dans leur chambre à coucher.
Alors, les récits de superhéros, un genre irrémédiablement condamné à l’immaturité ? Bien sûr que non et comme Moore et Morrison en leur temps, King et Gerads prouvent que cela n’a rien de miraculeux pourvu qu’on ait l’envie et la latitude de soumettre le genre à toutes les contorsions et tours de passe passe possibles.
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Mister Miracle.
Par Tom King et Mitch Gerads.
Urban Comics, coll. DC Deluxe, 328 p., 28 €, mai 2019.
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