Sélection Comics – Monstress
La Sélection Comics vous propose un focus sur un titre anglo-saxon qui vous sortira de la routine super-héroïque. Zoom sur la claque graphique Monstress, de Marjorie Liu et Sana Takeda, série fantastique étonnante, entre Orient et Occident, dans laquelle les femmes (et les monstres) ont pris le pouvoir.
Rares sont les artistes capables de tenir sur la durée dans les pages intérieures de comics les promesses de leurs plus belles couvertures. C’est la première surprise, immédiate, que réserve Monstress : CHAQUE planche de cette série est à la hauteur de ses éblouissantes premières de couv’. La Japonaise Sana Takeda n’a pas seulement un talent, euh, monstre : c’est aussi une sacrée bosseuse capable de maintenir tout du long son élégance à mêler les styles manga et européen pour donner vie à une sorte d’Asie médiévale steampunk aux belles inspirations Art déco, où cohabitent horreurs lovecraftiennes et yokai. Monstress est d’une puissance graphique à couper le souffle avec ses décors somptueux et minutieusement détaillés, son character design inspiré, au diapason d’un récit ambitieux qui ne se place pas à la croisée de l’Orient et de l’Occident juste parce que c’est à la mode.
À travers cette épopée de fantasy adulte et brutale dans laquelle les humains livrent une guerre sans merci aux Arcanites, une peuplade d’hybrides animaliers réfugiée derrière un mur (oui l’ombre de Game of Thrones plane beaucoup sur Monstress), la scénariste Marjorie Liu (par ailleurs, avocate et surtout romancière) se confronte ainsi à des interrogations qu’on devine très personnelles sur la condition féminine ou sa propre double culture sino-américaine. L’héroïne Maika est une jeune Arcanite capturée et réduite en esclavage. Mais celle qu’on pourrait facilement prendre pour une humaine porte un secret capable de semer la terreur jusque dans son propre camp : une divinité ancestrale vit en elle et lui confère une force démesurée à condition qu’elle le nourrisse de chair fraîche.
Mais plutôt qu’une malédiction, de tels pouvoirs pourraient bien représenter une chance de changer le monde pour Maika. Car cette jeune orpheline tête brûlée n’a rien d’une victime. À son indésirable hôte, elle parle d’égale à égal, fixe des règles et ne se considère jamais comme une monstruosité. Brutalisée par des nonnes-sorcières, des inquisitrices, des soldates, des guerrières, des reines, elle se défend, accompagnée dans son odyssée vers la liberté par une enfant-renard et un chat magique. Ce dernier appartient à l’ordre des « nekomanciens », joli néologisme basé sur le mot japonais désignant les félins domestiques. Des bonnes idées comme celles-ci, l’univers très riche qu’ont bâti les auteures, qui avaient déjà collaboré sur X-23 chez Marvel, n’en manquent pas.
Et on parlait de surprises, Monstress en réserve une autre : vous l’aurez peut-être deviné, l’essentiel des rôles principaux a été confié à des femmes, y compris les plus traditionnellement virils. Et ça change tout ! On devine bien que se pratique dans ce monde-là une forme de matriarchie mais celle-ci n’est jamais discutée. Et les hommes sont bien là : ils ne sont pas une espèce disparue, on les voit, on les entend, il y en a même une poignée qui jouent un rôle secondaire dans l’intrigue. Cette histoire-là n’est simplement pas la leur. L’effet de décalage est d’autant plus puissant qu’il est organique.
Petit conseil avant de vous lancer dans cette passionnante saga : acceptez de naviguer à l’aveugle dans le tout premier chapitre, publié à l’origine exceptionnellement dans un format extra-large de 66 pages. Extra-large et extra-confus. Les auteures ont fait ici le pari de prendre leur temps en posant le décor et en en disant le moins possible. Ça ne fonctionne pas au début, on ne comprend rien, on s’ennuie poliment, mais heureusement les choses se décantent ensuite et la patience sera largement récompensée. Autant être prévenu.
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Monstress #1-2.
Par Sana Takeda et Marjorie Liu.
Delcourt, 16,50 €, octobre 2017.
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