Sélection Comics – Nowhere Men
La Sélection Comics vous propose un focus sur un titre anglo-saxon qui vous sortira de la routine super-héroïque. Zoom sur un premier tome prometteur, où la science a remplacé le rock comme culture mondiale dominante : Nowhere Men, par Eric Stephenson et Nate Bellegarde.
Tout est affaire de timing. Pendant dix ans, Eric Stephenson a rêvé de ce qui deviendrait Nowhere Men, sa toute première BD. Mais c’est un homme occupé. Il fait même sans doute partie des trois ou quatre bonshommes les plus débordés de toute la planète BD. Directeur éditorial d’Image Comics, il n’a pas chômé pendant tout ce temps pour aider à établir cette compagnie indépendante en rivale sérieuse de Marvel et DC. Son projet perso, forcément, devait attendre. Jusqu’à ce qu’enfin, en 2012, Nowhere Men, trouve le chemin des librairies. Sous bannière Image évidemment. L’homme s’y révèle un scénariste adroit. Il a été à bonne école. Au sein d’Image, maison autogérée par les auteurs superstars que sont Todd MacFarlane (Spawn), Marc Silvestri (Witchblade, The Darkness), Robert Kirkman (The Walking Dead) ou encore Erik Larsen (Savage Dragon), Stephenson est celui qui s’est toujours chargé de canaliser les énergies créatrices. Il est un peu pour tous ces artistes l’équivalent d’un Brian Epstein pour les Beatles. Ce n’est peut-être pas un hasard si les Fab Four justement lui ont fourni l’inspiration pour Nowhere Men, l’histoire de quatre garçons dans le vent entrés dans la postérité dans les années 60 et dont la personnalité et le look renvoient directement à John, Paul, George et Ringo.
Sauf que dans Nowhere Men, ces avant-gardistes n’ont pas choisi de s’exprimer par le biais du rock’n roll mais par celui de la science. Amusante uchronie donc que ce monde où l’astrophysique et la biologie moléculaire seraient devenues la culture dominante en lieu et place de la pop-music. Adulés, les quatre héros ont fondé une société World Corp appelée à régner sur le monde et, en effet, quand on les retrouve des dizaines d’années plus tard, leur entreprise a été à l’origine de la plupart des avancées technologiques et médicales majeures enregistrées depuis. Mais l’amitié entre ces Steve Jobs et Bill Gates en blouse blanche a vécu et leur querelle va mettre en péril l’humanité.
Stephenson explore avec finesse les rapports entre ses quatre héros à grand renforts de flashbacks mais aussi, et là c’est un peu moins habile, de passages en prose ou encore de coupures de presse et retranscriptions d’interviews. Fausse bonne idée car au lieu d’apporter du rythme, leur écriture laborieuse alourdit le récit. Peu importe, de l’action il y en a tout de même, car en parallèle se déploie une histoire de virus spatial plutôt accrocheuse qui permet au dessinateur Nate Bellegarde (Invincible) de briller. Son travail est remarquable, surtout conjugué à celui de Jordie Bellaire à la couleur. Cette dernière a reçu un Eisner Award mérité pour l’occasion et établit une vraie parenté visuelle avec Projets Manhattan sur lequel elle a également travaillé. Moins débridée que la série de Jonathan Hickman, Nowhere Men interroge avec le même à propos les dérives du progrès. Ce premier volume qui boucle une première arche narrative donne vraiment envie d’en savoir plus sur cet univers.
Et c’est là que le bât blesse. Et que notre affaire de timing revient sur le tapis. À ce jour, aucune suite n’a vu pour l’instant le jour. Et contre toute attente, ce n’est pas l’emploi du temps de ministre de Stephenson qui est en cause. Nate Bellegarde a courageusement assumé la pleine responsabilité de ces retards dans un texte très touchant publié en juillet 2014 sur son blog. Il y parle avec humour et délicatesse de la vilaine dépression qui l’empêche de se remettre au boulot comme il le voudrait. Stephenson a fait le choix de l’attendre, patiemment. Respect.
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Nowhere Men #1.
Par Nate Bellegarde et Eric Stephenson.
Delcourt, 17,95 €, avril 2015.
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