Sélection Comics – Punk Rock Jesus
La Sélection Comics vous propose un focus sur un titre anglo-saxon qui vous sortira de la routine super-héroïque. Zoom ce mois-ci sur une claque graphique signée Sean Murphy, qui aurait peut-être méritée de pousser plus loin sa thématique : Punk Rock Jesus.
« What would Jesus do ? » Que ferait Jésus à ma place ? Dans les années 1990, les évangélistes chrétiens américains ne juraient que par cette formule, imprimée sur des bracelets généreusement distribués pour tenter de sensibiliser leurs contemporains à leurs velléités moralisatrices. Beaucoup s’en sont moqués, à l’image du réalisateur Kevin Smith dans sa pochade Dogma. Dans sa mini-série Punk Rock Jesus, Sean Murphy (dessinateur de Joe l’aventure intérieure) pose la question plus sérieusement : et si le Christ revenait aujourd’hui (enfin, mettons, en 2019) parmi les hommes, quelle serait sa réaction ?
Anticipant un futur pas très reluisant, il imagine un producteur de téléréalité finançant, à partir d’ADN prélevé sur le Saint-Suaire, un clone de Jésus à des fins de divertissement. Après avoir sélectionné une jeune volontaire vierge, il donne naissance à un nouveau prophète dont chaque fait et geste sera retransmis et suivi par 3 milliards de téléspectateurs. Évidemment, tout ne se passera pas comme prévu et à se montrer totalitaire et cupide, le producteur donnera surtout au jeune « Chris » l’envie de se rebeller et de justifier le titre de la série.
L’univers ici créé, que traversent, entre autres, des fondamentalistes déterminés, un ange bodybuildé (!) et un ours polaire de compagnie génétiquement modifié, est d’une incroyable richesse. Seul auteur et dessinateur de ce récit touffu étalé sur plus de 200 pages, Sean Murphy a abattu un boulot colossal.L’homme est un habitué des travaux maîtrisés de bout en bout : la sortie combinée chez Urban Comics de Off Road, une œuvre de jeunesse déjà visuellement très prometteuse, est l’occasion de s’en rendre compte. Mais dans PRJ, Murphy fait montre d’une autre maturité artistique et livre un album d’une cohérence rare.
Son seul péché : n’avoir pas su se montrer dans son propos à la hauteur des ambitions anar de son personnage-titre. Chris, à force d’avoir été, pour les besoins du spectacle, privé pendant toute son enfance de libre-arbitre à la manière de Jim Carrey dans Truman Show, développe une rage immense contre les fondamentalistes chrétiens qui croient en son avènement. Et même contre toute idée de religion. Mais son discours ne dépasse jamais vraiment le simple plaidoyer pour l’athéisme. On a vu plus subversif, même si, à en juger par le ton de Sean Murphy lui-même dans l’avant-propos, se définir comme athée pour un Américain a l’air d’être un saut dans le vide autrement plus intimidant que pour l’Européen moyen.
Reste que comme brûlot politique, pas plus que comme satire (le producteur vénal est un méchant beaucoup trop caricatural), PRJ ne fait pas mouche. Tout n’est pour autant pas à jeter, loin de là. Car envisagée comme une série d’action, elle délivre une sacrée claque. Ceci explique sans doute cela, mais le titre est assez trompeur : le vrai héros de PRJ n’est pas le frêle Chris mais Thomas McKeal, son colosse de garde du corps. C’est avec lui, gamin, que l’histoire s’ouvre et avec lui, qu’elle se termine. Cet Irlandais, ancien de l’IRA pas fier de ses actions passées et décidé à se racheter en veillant sur le nouveau messie, est la conscience de la série. Mais c’est aussi et surtout son fournisseur officiel de tatanes, multipliant miraculeusement les pains pour mettre à bas à lui seul des armées de fous de Dieu.
Ce beau personnage se situe quelque part entre le Punisher et le Briareos d’Appleseed. On pense d’ailleurs souvent à l’œuvre de Masamune Shirow en lisant Punk Rock Jesus tant Murphy y a puisé pour sa mise en scène exemplaire des combats, poursuites et explosions. Jusque son utilisation des trames et les onomatopées choisies qui rappellent celle du sensei japonais. Une référence classieuse pour un album qui ne l’est pas moins.
PRJ a aussi le mérite de redonner un peu foi en l’écurie Vertigo, qui si, elle semble un peu chercher un second souffle sur les séries au long cours depuis la fin de ses grandes sagas emblématiques des années 2000 (Y le dernier homme, 100 Bullets, Scalped, etc.), reste un beau défouloir pour auteurs en quête d’une plus brève respiration entre deux licences Marvel ou DC.
Guillaume Regourd
Punk Rock Jesus.
Par Sean Murphy.
Urban Comics, 19€, le 20 septembre 2013.
Achetez-le sur Amazon.fr
Publiez un commentaire