La Sélection Comics vous propose un focus sur un titre anglo-saxon qui vous sortira de la routine super-héroïque. On revient ce mois-ci sur une série atypique, une saga sentimentale et attachante signée Terry Moore : Strangers in Paradise.

Les comics, un monde de brutes ? Si l’on juge par les thèmes abordés et par la rareté des sensibilités féminines exprimées dans le gros de la production américaine, on serait tenté de répondre par un oui gras et sonore. Cela n’a pas empêché un Strangers in Paradise de s’adjuger une belle renommée en contant en toute simplicité les aventures avant tout sentimentales d’un duo de girls next door. Série au long cours auto-éditée au sein de la micro-structure Abstract Studio, SiP a ainsi acquis le statut de titre culte en suivant depuis 1993 la relation d’amitié/amour de deux colocataires, Francine et Katchoo.

La première est une brune aussi rêveuse et incapable de prendre des décisions que la blonde Katina Choovanski (mais personne ne l’appelle comme ça) est fonceuse. Francine ne se départit jamais d’une confondante naïveté, toujours à deux doigts de retomber dans les bras de Freddy, un crétin superficiel. Et Katchoo, qui hait les hommes, a tout de même du mal à résister aux avances de David, l’indécrottable romantique qui s’est entiché d’elle. Mais la chose la plus précieuse au monde pour les deux jeunes femmes demeure ce lien si particulier qui les unit l’une à l’autre.

Voilà pour le côté soap opera assumé de la série. Cela n’empêche pas SiP d’emprunter à des tas d’autres genres et notamment le thriller, puisqu’au fil des épisodes et à mesure que se révèle le passé douloureux de call-girl de Katchoo, tout ce petit monde se trouve mêlé à un complot mafieux riche en rebondissements.

Ce mélange des genres et des tons, puisqu’il n’est pas rare de passer de la comédie au drame dans une même planche, fait tout le charme de cette série totalement indé dans l’esprit, avec ses pages de poèmes et de chansons venant interrompre le récit, et en même temps toujours grand public. Et puis il y a cette sensibilité singulière. Une sensibilité toute féminine, si tant est que cela signifie quoi que ce soit, qui se trouve à mettre au crédit d’un homme. Artiste polyvalent, seul à œuvrer sur Strangers in Paradise, Terry Moore s’y entend pour brosser des portraits de filles qui sonnent juste. Ne serait-ce qu’au dessin, celles de SiP échappent aux canons de beauté sanctifiés par des décennies de pulps et de comics super-héroïques. Jusque très récemment, DC se faisait encore accuser de machisme avec sa dernière version de Catwoman au décolleté vertigineux. Quand il s’attaquera lui-même au fantastique dans sa série Echo en 2008, Moore fera de l’héroïne, Julie, une fille toute simple affligée d’une super-combinaison inamovible en métal extraterrestre plutôt qu’une bombasse prompte à se débarrasser de son costume en Spandex.

Dans SiP, personne n’a besoin d’afficher les mensurations et l’arsenal vestimentaire d’une vamp pour apparaître désirable et désirée. Même quand Terry Moore colle, au cours de l’aventure, 15 kilos de trop à Francine, le sex appeal de cette dernière n’en souffre pas. Au contraire. Plus subtilement, c’est dans l’écriture et la manière qu’elles ont d’appréhender leur corps et leurs propres désirs que Moore excelle à camper Katchoo et Francine. On ne peut que se féliciter de voir Strangers in Paradise, au destin éditorial chaotique jusqu’ici en France, distribuée par Kymera dans une collection intégrale enfin cohérente. Quinze volumes sont déjà disponibles en attendant de boucler bientôt cette somme à laquelle Terry Moore a mis lui-même un point final en 2007.

Guillaume Regourd

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Strangers in Paradise #1-15.
Par Terry Moore.
Kymera. Réédition des tomes 6 et 7 le 24 novembre 2011. 15 €.

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