Sélection Comics – Tony Chu
La Sélection Comics vous propose un focus sur un titre anglo-saxon qui vous sortira de la routine super-héroïque. Après un premier coup de coeur pour The Unwritten, nous vous invitons à vous asseoir à la table de Tony Chu, détective cannibale.
«Détective cannibale», Tony Chu ? Comme ils y vont chez Delcourt… Ce flic qui donne son nom à une série de comics (bientôt adaptée à la télé), signée John Layman et Rob Guillory, ne mange pas vraiment ses semblables. Il ne fait que les goûter… Car Tony est ce qu’on appelle un «cibopathe». Une bouchée de n’importe quoi et voilà le pauvre homme assailli de visions lui révélant le passé de l’aliment croqué.
Un don ou plutôt une malédiction, du genre à vous gâcher tous les repas, et qui lui vaut d’être promu agent spécial par la FDA. Euh, FDA ? Oui. Dans le monde de Tony Chu, la Food and Drug Administration (RAS, Répression des Aliments & Stupéfiants, en VF), autrefois modeste agence s’assurant de la sécurité sanitaire des aliments, a pris un poids équivalent à celui de la CIA. La faute à une épidémie de grippe aviaire qui a fait près de 23 millions de morts aux Etats-Unis. Le poulet désormais interdit à la consommation, la FDA emploie tout son temps à lutter contre le florissant trafic de cette viande. La mission de Tony : élucider des affaires de meurtres liées à ce juteux et illégal business. Et ce par tous les moyens, y compris – et surtout – en croquant dans les cadavres.
Dans Tony Chu (Chew en VO, du verbe « mâcher »), l’outrance et la loufoquerie règnent en maître, décuplées par le trait cartoon de Guillory. On pourrait envisager cataclysme plus angoissant qu’un monde privé de nuggets et autres pilons. Mais dans cet univers complètement barré imaginé par Layman, la population vit cet embargo comme un drame insurmontable et, au grand dam de la FDA, met du cœur à s’approvisionner, même sous le manteau, en œufs frais et escalopes. L’auteur ne s’arrête pas à ce background déjà fourni et truffe son récit d’un tas d’autres pouvoirs liés au goût, en plus de la cibopathie. Une critique gastronomique a ainsi le don de pouvoir faire ressentir littéralement la saveur des mets rien qu’en les décrivant…
Ce joyeux foutoir emprunte à tous les genres sans perdre sa cohérence. La trame principale s’inscrit dans le polar mais bifurque à l’occasion vers l’épouvante et le buddy movie via le partenaire de Chu, une brute épaisse dotée d’implants cybernétiques ! Mais cette série est surtout une farce relevée, à l’humour noir – voire trash – réjouissant. Petit exemple : le chef de Tony à la FDA l’a dans le pif et prend un plaisir gourmand à le faire user de ses talents sur le moindre résidu organique laissé par un suspect. Et ce qu’il faut entendre par organique, on le laisse à votre imagination. Bon appétit !
Enlevé, semé de rebondissements, le volume 1 de Tony Chu, détective cannibale était une belle surprise, récompensée par le Eisner Award de la meilleure nouvelle série. Mais ce comics laissait circonspect quant à son potentiel sur le long terme. Un goût de paradis, le deuxième tome qui vient de sortir en français – chez Delcourt donc -, rassure largement. En enquêtant sur une petite île du Pacifique sur un possible substitut à la chair de poulet, Chu continue de croiser son lot de barjots : une tueuse envoyée par le gouvernement, des guérilleros fanas de combats de coq, et même des vampires. Aux côtés de ce sympa héros bouffeur de betteraves (le seul aliment qui ne lui donne aucune vision), on ne s’ennuie pas une seconde. Mieux, on en s’en resservirait bien un morceau.
Guillaume Regourd
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Tony Chu #1-2.
Par Rob Guillory et John Layman.
Delcourt, 14,95 €, T2 le 2 mars 2011.
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Images © Layman/Guillory/Guy Delcourt productions 2010-2011
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