Senso
Sous un soleil écrasant, Germano arrive dans un petit village italien où il se pense attendu. Mais rien ne se déroule comme prévu. Personne ne l’attend à la gare, sa chambre d’hôtel a été réattribuée, il n’arrive à joindre personne (sans mobile, point de salut?), on lui vole sa valise et il se retrouve au beau milieu du mariage d’une vieille et lourdingue connaissance de son enfance… De quoi passer une soirée cauchemardesque. Sauf qu’il rencontre Elena, célibataire entre deux âges, comme lui, qui va donner à cette nuit des allures de rêve éveillé.
Cinq ans après le formidable Come Prima, Alfred retourne en Italie pour une oeuvre plus légère, comme un exercice de style: deux personnages, unité de lieu – un décor superbe et propice à la rêverie, dans lequel on perçoit tout l’amour de l’auteur pour les jardins –, unité de temps (une nuit), pour ouvrir le champ des possibles. Un dispositif assez cinématographique, qui repose à la fois sur la confrontation de deux inconnus, mais chez qui on sent immédiatement une tension charnelle, et sur les sensations nées de l’interaction des protagonistes avec le décor – arbres, ombres, vent, mobilier, vêtements, humidité, oiseaux… Et comme Alfred est un auteur de bandes dessinées et pas un cinéaste, il s’appuie sur la fluidité de son pinceau pour créer des planches extrêmement sensitives et faire jouer ses acteurs avec énergie et sincérité. On sent la chaleur éreintante, à laquelle succède un filet de fraîcheur nocturne propice à la détente, on hume le musc du taureau sorti de nulle part, au milieu des vapeurs de champagne, on profite du silence sur le lac après les tonitruants échos de la fête. Peut-être moins profond que d’autres de ses albums, ce Senso d’Alfred s’impose néanmoins comme un livre d’une belle maturité artistique, qui remplit son objectif narratif : créer une parenthèse envoûtante dans le quotidien, emmener le lecteur au bout d’une nuit magique et salvatrice.
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