Serial killers et BD: trois albums pour trois tueurs
Aaaah, les tueurs en séries! Sujet palpitant et inépuisable pour les auteurs de fictions en tous genres. Le cinéma semble avoir épuisé la veine du thriller de killer, dans le sillage du Silence des agneaux et de Se7ven, pour leur préférer des perles plus rares, comme Zodiac de David Fincher. La bande dessinée, elle, continue de surfer tranquillement sur la vague de nos peurs.
Le chef d’oeuvre ultime en la matière est bien entendu From Hell, d’Alan Moore et Eddie Campbell (Delcourt). Et pas seulement parce que ses auteurs se sont attaqués au plus fameux des criminels -en la personne de Jack l’Éventreur-, mais parce que ce roman graphique de près de 400 pages est une enquête aussi précise que métaphysique, aussi poétique que sombre. Loin de prétendre rivaliser avec ce monument (il faut bien un Everest à tout domaine…), nombre de bandes dessinées se sont penchées sur le cas de serial killers réels (Henri Désiré Landru de Chabouté) ou fictifs (le récent Dolls Killer de Pona et Bleda notamment), entretenant un genre qui tient souvent plus du divertissement que de l’analyse de l’âme humaine.
Ce printemps 2009 a ainsi vu fleurir des albums sur des cadavres plus très frais, mais misant sur l’esprit « biographie des grands criminels de notre temps ». La collection Serial Killer de Soleil s’enrichit de deux one-shots inspirés de faits divers américains, L’Étrangleur de Boston et Ed Gein, le boucher de Planfield (ça fait flipper ces titres, hein?). Glénat sort le tome 2 de Manson, enquête fouillée sur le parcours du hippie-massacreur, un des meurtriers les plus célèbres au monde. Et Casterman a inauguré le mois dernier avec Le Docteur Petiot une série de BD biographiques consacrées à des tueurs européens. Effet de mode? Concept marketing florissant et peu risqué? Quoi qu’il en soit, c’est l’occasion de se plonger dans des destins criminels hors du commun, de s’interroger sur la fascination qu’ils exercent encore sur nous des années après leur condamnation. Et surtout de voir ce que les auteurs de BD ont réussi à faire de ces sombres histoires.
Les faits
Parce qu’on ne se souvient plus toujours très bien des raisons qui ont fait que Manson, Petiot et l’étrangleur de Boston sont restés dans l’histoire criminelle, petit rappel des faits.
Manson | L’étrangleur de Boston | Le docteur Petiot |
Né en 1937 d’une mère alcoolique et d’un père inconnu, Charles Manson passe une grande partie de sa jeunesse en prison, pour divers vols et agressions. Fasciné par les chansons des Beatles, dans lesquelles il discerne un texte codé, il fonde la « Famille », une communauté hippie qu’il dirige en gourou. Il entretient aussi des liens avec certaines personnalités du show-business. Puis il élabore une prophétie selon laquelle les Noirs domineraient bientôt les Blancs, et qu’ils s’adresseraient à lui pour les guider. En 1971, il a été déclaré coupable de plusieurs assassinats, dont celui de Sharon Tate, épouse du cinéaste Roman Polanski. Il est actuellement emprisonné en Californie. | Entre l’été 1962 et l’hiver 1964, treize femmes sont tuées dans la région de Boston, États-Unis. Le tueur a pénétré chez elles sans effraction, les a agressées sexuellement, puis étranglées. Il est reconnu par des victimes et arrêté. Albert DeSalvo est condamné pour plusieurs viols. Mais il avoue ensuite les fameux meurtres par strangulation. Il meurt poignardé en prison, mais n’a jamais été formellement jugé pour les assassinats. Des doutes subsistent sur sa culpabilité, compte tenu de son état mental troublé, d’absences de preuves matérielles et de modes opératoires différents selon les crimes. | Marcel Petiot débute comme médecin à Villeneuve-sur-Yonne en 1922, où il soigne gratuitement les indigents. Il devient maire de la ville puis conseiller général, avant d’être condamné notamment pour détournement de fonds. Il part pour Paris, ouvre une clinique, mais fait un séjour en maison de santé, suite à un vol à l’étalage. Il acquiert un hôtel particulier en 1941, qu’il transforme en cabinet médical. Sous l’Occupation, c’est là que disparaîtront des dizaines de personnes, qu’il proposait de faire passer en zone libre. On y retrouvera une chambre à gaz, des cadavres et des piles de valises. Il est arrêté fin 1944, condamné pour 27 assassinats (il en revendique 63) et guillotiné en 1946. |
La fascination populaire
Ils ont marqué leur temps, suscitant incompréhension, doutes et surtout peurs. À des époques et des lieux différents, leurs crimes horribles ont amené la société à s’interroger sur elle-même. Sans doute parce qu’ils avaient des personnalités fortes, Manson et Petiot ont attiré l’attention de l’opinion publique sur eux, autant que sur leurs crimes. Représentaient-ils le côté obscur, les pulsions inavouées d’une partie de la population? Et, dans le cas des meurtres de Boston, le fait que de nombreux doutes subsistent sur la culpabilité de DeSalvo a participé à l’entretien d’une certaine angoisse: personne n’est plus en sécurité nulle part.
Les crimes de Charles Manson et de sa « Famille » ont durablement perturbé l’Amérique. Parce qu’il avait un charisme naturel et un physique christique, il a séduit des personnalités en vue (notamment un membre des Beach Boys) et profité de leur faiblesse . Certains ont même vu en lui une figure importante de la contre-culture de l’époque. Pas de fiction ciné autour de Charles Manson, mais plusieurs documentaires. Et une influence diffuse sur plusieurs artistes, notamment le musicien Marilyn Manson. |
La vague de strangulations de femmes a entraîné une certaine psychose dans les rues de Boston. Parce que les meurtres et viols avaient lieu au domicile des victimes. Et parce que le criminel semblait s’en prendre à des femmes de tous âges, origines ou modes de vie. Toutefois, l’assassinat du président John F. Kennedy en novembre 1963 détourna quelque peu l’attention. Mais l’affaire garda un goût d’inachevé, en raison des doutes sur la culpabilité de DeSalvo et de la possible existence d’autres tueurs… Tony Curtis a incarné Albert DeSalvo dans le film L’Étrangleur de Boston (Richard Fleisher, 1968). |
Personnalité ambigüe, le docteur Petiot était apprécié sur la place publique pour ses bons offices de médecin. Et il a résisté à la torture de la Gestapo. Mais il semble que ce soit l’appât du gain qui l’amena à dépouiller et se débarrasser de personnes fuyant l’Occupation nazie. Il avait par ailleurs le sens de la formule et déclara sur l’échafaud : « Je suis un voyageur qui emporte ses bagages ». Michel Serrault a incarné le médecin meurtrier dans le film Docteur Petiot (Christian de Chalonge, 1990). |
Les adaptations BD
Clairement, ces trois adaptations de la vie de ces criminels ne sont pas de brillants albums de bande dessinée. Peut-être parce que le sujet était trop fort, elles restent en retrait, cherchant une certaine distance: journalistique pour Manson, ou biographique pour Le Docteur Petiot. De son côté, L’Étrangleur de Boston privilégie l’aspect thriller, mais sans véritablement faire décoller le rythme cardiaque du lecteur. Dommage.
Cette série se présente comme une contre-enquête, menée par un personnage de journaliste. Le scénario de Cédric Rassat s’attache à décrire l’environnement de cette fin des années 60 en Californie, entre LSD, orgies et Black Panthers. Très bien documentée, la BD est touffue et tente de brosser un portrait précis et objectif de Charles Manson. Dommage que le dessin de Paolo Bisi ne soit pas toujours à la hauteur (certaines postures sont absurdes) et que les dialogues tournent parfois à la caricature. | Nouvel opus d’une collection dédiée aux serial killers, l’album écrit par le cinéaste Élie Chouraqui suit le développement de l’affaire depuis les premiers meurtres jusqu’à l’arrestation de DeSalvo, en passant par le recours de la police à un médium. Et prend le parti de présenter le « coupable » comme un véritable schizophrène. Relativement plan-plan, malgré quelques scènes bien crues (complaisantes?) de cadavres nus ou de femmes agressées, ce one-shot se laisse lire sans déplaisir, notamment grâce au dessin sobre et efficace de Serge Fino. | Véritable biographie ouvrant le label « Assassins » – Le Vampire de Düsseldorf et Violette Nozière sont annoncés -, l’album signé par les auteurs confirmés Jeanne Puchol (dessin réaliste ultra-classique) et Rodolphe (scénario nickel, sans un gramme de gras), impressionne par la quantité de détails fournis dans seulement 48 pages. C’est vrai que le destin de Petiot est romanesque et se prête à l’exercice d’adaptation. Toutefois, ce portrait clinique reste trop distant du personnage, qui glisse entre les doigts du lecteur telle une anguille. |
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Manson #2.
Par Paolo Bisi et Cédric Rassat.
Glénat, 9,40 €, le 15 avril 2009.
L’Étrangleur de Boston.
Par Serge Fino et Élie Chouraqui.
Soleil, 12,90 €, le 25 mars 2009.
Assassins – Le Docteur Petiot.
Par Jeanne Puchol et Rodolphe.
Casterman, 10 €, le 11 mars 2009.
Images © Glénat – Soleil – Casterman
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