Sérum
Dans un Paris futuriste pas franchement riant, Kader travaille à l’inspection des éoliennes. Il habite un minuscule appartement, n’aime pas les gens, sauf l’hologramme érotique qu’il convoque en ligne dès qu’il peut. Il peut voir sa fille de temps en temps, dans une sorte de cellule de prison, sous les yeux de son ex, qui le déteste. Mais le pire, c’est sans doute ce traitement qu’il subit, ce sérum qui le consume car il l’oblige à dire en la vérité. Tout le temps, en toutes circonstances. L’enfer est pavé de bonnes intentions, dit-on. La vie de Kader en est la preuve.
Cyril Pedrosa (Portugal, Les Équinoxes…) se fait ici scénariste, pour un one-shot d’anticipation brillant et glaçant. La France qu’il brosse pourrait être celle d’après la victoire de l’extrême droite. Sortie de l’Europe, repliée sur elle-même, parquant la main d’oeuvre étrangère dans des quartiers sécurisés. Rationnant l’eau et l’électricité, et surtout vivant en permanence dans un état de siège qui fait taire le moindre soubresaut de contestation. La description de cet univers, volontairement parcellaire pour laisser une part de mystère (et donc être encore plus flippant), se fait de manière diffuse au fil des pages, s’intégrant de manière fluide aux événements de la vie de Kader, l’homme qui ne pouvait pas mentir. Cette idée étonnante offre à Pedrosa un vaste champ de possibilités scénaristiques, mais il préfère – excellente idée – se concentrer sur l’intime et le parcours de cet individu mis au ban d’une société plus que morne, qui va agir malgré lui comme un révélateur.
Pour mettre en images cette sombre vision de l’avenir: Nicolas Gaignard, vu dans Fluide Glacial et Alimentation générale, qui signe là sa première longue BD. Dans un style élégant et accessible, évoquant celui de Frederik Peeters sur Aâma ou celui d’Ugo Bienvenu dans Paiement accepté, en plus raide et moins détaillé toutefois, il développe un univers crédible et oppressant. Alors, laissez-vous aller, et prenez une dose de Sérum : vous deviendrez accro.
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