Sestrières
L’été, les vacances à Sestrières, station de montagne italienne, ressemblent à une interminable journée, à la fois ennuyeuse et pleine de promesses. Jamais sans son smartphone, Federica, 14 ans, y traîne en compagnie de Giorgio et Noemi. Cette dernière est une locale, plus âgée, et carrément délurée. Ce qui fait du bien à Federica, touriste habituée de la station mais bien sage, encore un peu une petite fille. Sauf que ce matin, Noemi est introuvable. Commence alors une enquête trouble et inquiétante, qui fera grandir Federica en accéléré.
Découverte en France avec Point de fuite, l’Italienne Lucia Biagi revient avec un récit en apparence plus léger, un faux polar adolescent à la montagne. En apparence seulement. Car en cherchant sa copine évaporée, Federica se confronte à la crue réalité : personne ne s’inquiète de cette disparition car tout le monde, à Sestrières, considère que Noemi est une débauchée ; et que, quoi qu’il lui soit arrivé, c’est de sa faute. Motards rugueux, ados bas du front, commerçantes commères… Presque toutes les figures croisées ici sont hostiles, viles, condescendantes. Et Noemi elle-même s’avère être tout sauf sympathique. La quête de l’héroïne ressemble à une ascension âpre vers l’âge adulte, où il faut tuer ses illusions d’enfant pour mieux appréhender le monde et devenir plus forte. Mais dans ce douloureux chemin, tout n’est pas glauque, heureusement. Avec sa ligne ronde et dépouillée, Lucia Biagi se moque gentiment de la dépendance aux téléphones portables et des mines renfrognées des ados, suscitant quelques sourires. Et en choisissant une mise en couleur étonnante, de mauve et de vert clair, elle donne à son décor une allure presque fantastique, qui renvoie aux pensées troublées de Federica, représentées comme un jeu vidéo kawai en papier découpé. Dépassant la simple chronique adolescente et prenant de vrais risques, l’auteure fait ainsi preuve d’une maturité narrative et graphique impressionnante, dans un album qui demeure longtemps entêtant.
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