Shanghai chagrin
Fraîchement diplômé des arts décoratifs de Strasbourg, Léopold Prudon ne digère pas la perte de son père et décide précipitamment de prendre le large. On lui suggère la Chine et ce sera Shanghai. De cette ville il ne connaît rien. Seuls les images, objets et clichés causés par notre vision déformée comblent le vide conceptuel. Cela n’a pas d’importance. Il fait le grand saut et part un an dans cette mégalopole.
Il se place en simple observateur du monde qui l’entoure et son excursion prend la forme d’une bande dessinée entre carnet de croquis et carnet de voyage. Les planches se remplissent de sa ligne fragile tracée à main levée. Prennent forme des gratte-ciels, maisons, parcs et autres vues subjectives sur une ville fascinante à de nombreux aspects. Celle-ci, complexe, se dévoile par morceaux, par le biais de son architecture, de la vie locale. En parallèle, le deuil de Léopold se poursuit. Chemin faisant, au rythme du quotidien, son parcours mélancolique et contemplatif se fait plus précis, revient sur le passé.
Shanghai chagrin s’ancre dans le réel pour mieux y laisser vagabonder l’esprit. Cette BD effleure le deuil par l’abstrait, la déambulation, le déracinement, la littérature. De la fuite au retour à la sérénité, le propos de Léopold Prudon emprunte à d’autres auteurs et se fait successivement trivial, poétique, inquiet, douloureux, intime. Sa promenade délivre une vision non fantasmée de l’une des plus grandes métropoles du monde. De la découverte à l’émotion, du voyage au retour aux sources, des bas quartiers aux centres modernes, des habitants aux rues désertes, des ruines au faste.
Économe dans sa mise en scène et dans sa narration, l’auteur tire profit de son format pour faire parler les images, le quotidien. Un deuil, ça se vit chacun à sa manière, dans l’intime et avec le temps. Léopold arrive à nous faire ressentir le sien en dehors de tout étalage. En toute retenue, avec pudeur, par bribes, dans des silences et des non-dits qui signifient beaucoup.
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