« Shoah et bande dessinée », bien plus qu’un catalogue d’expo
À l’occasion de l’exposition consacrée à la Shoah et à la bande dessinée à Paris (jusqu’au 30 octobre 2017), les éditions Denoël Graphic, en coédition avec le Mémorial de la Shoah, publient un catalogue, titré Shoah et bande dessinée : l’image au service de la mémoire.
Moins un simple catalogue d’ailleurs qu’un livre d’analyse offrant des grilles de lecture, il se donne avant tout pour mission « de dresser un inventaire » des lignes de force ou de la grammaire qui se dégagent des narrations et représentations de l’horreur. Sous la direction de Didier Pasamonik (éditeur, journaliste) et de Joël Kotek (professeur à l’Université de Bruxelles, à Sciences-Po Paris et associé au Mémorial), le livre revient sur les moments forts de l’exposition pour mieux les cerner, les éclairer, en approfondir le questionnement, en s’efforçant de montrer comment la BD « transforme notre façon de parler de la Shoah » (Assaf Gamzou). Dans le sillage de Maus par exemple, œuvre fondatrice, qui montre « à quel point la BD peut produire une approche nuancée de la mémoire, du trauma et des fractures générationnelles ».
Découpé en six chapitres, l’ouvrage revient sur les albums marquants, balayant une période de plus d’un demi siècle entre « amnésie » (1944-1980) et « inexorable retour du refoulé » (1970-1995). Du chef-d’œuvre inaugural de Horst Rosenthal, Mickey à Gurs, à La Bête est morte ! et Maus, les auteurs retracent une généalogie tout en posant les questions de fond : quand les artistes ont-ils conscience de la Shoah ? quand se sont-ils emparés du sujet et avec quels moyens ? L’occasion de s’interroger avec l’historienne Annette Wieviorka sur les temps de la mémoire, entre choc de la découverte des camps et médiatisation tardive d’un événement indicible, incomparable.
Dans des styles fluides, précis et concis, loin des litanies habituelles de ce genre d’ouvrage, les auteurs évoquent une lente gestation, s’interrogent sur l’impuissance des super-héros (voir l’article Pourquoi les super-héros n’ont-ils pas libéré Auschwitz de Jean-Paul Gabilliet et l’interview de Chris Claremont : l’homme qui fit de Magneto un rescapé de la Shoah). L’excellent historien Tal Bruttmann s’attarde lui sur la révolution Maus, le chef-d’œuvre d’Art Spiegelman et l’un des plus importants témoignages sur la Shoah tandis que le chapitre 4 revient sur « les enfants » du feuilleton TV Holocaust (L’Histoire des 3 Adolf, Lord Horror…), véritable succès audiovisuel qui a marqué le monde de la BD. Les deux derniers chapitres tentent des parallèles avec les autres génocides (arménien, rwandais) et analysent la Shoah en tant qu’objet historique (voir l’interview de G.Bensoussan : « On peut faire comprendre l’horreur sans tomber dans le voyeurisme »).
Au-delà de la grande qualité des intervenants, il faut enfin souligner la richesse iconographique du catalogue : planches de BD, photographies, cases, illustrations, couleurs des pages de fond, tout est pensé avec pédagogie pour faciliter la lecture et permettre de s’approprier les enjeux de l’exposition. Pour comprendre au final comment l’image, par-delà l’impuissance des mots, peut elle aussi être vectrice de mémoire. Un ouvrage remarquable, complément indispensable de l’exposition.
Shoah et bande dessinée.
Denoël/Mémorial de la Shoah, 168 p., 29,90 €.
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