Si Dieu existe
« Je traverse une crise où tout me ramène à la foi. Mon père est mort. Je me suis séparé. Mes amis de Charlie se sont fait abattre. Je me sens autant paumé que mon pays et je cherche à retrouver, à défaut de Dieu, ma bonne étoile. C’est pourquoi je reprends mes carnets, pour trouver de petites réponses à des problèmes dont j’ai l’impression qu’on se les pose tous. Et qui peuvent se résumer, dans tous les domaines, intimes comme politiques à : comment faire pour y croire encore ? »
Comme son ami Lewis Trondheim, directeur de la collection Shampooing et auteur des Petits Riens, Joann Sfar avait décidé qui lui aussi raconterait sa vie. Dans ce dixième opus de ses carnets, l’auteur du Chat du rabbin erre à la recherche de sens : la tuerie de Charlie Hebdo l’interroge sur son rapport à la religion et à la République française ; la séparation d’avec Sandrina, sa compagne de toujours, sur son rapport aux femmes, aux autres aussi. Car l’art de Sfar réside en cette navigation constante entre l’universel et le personnel, entre le sens de la vie et le sens de sa vie, entre son nombril – parfois même en dessous – et les grandes questions, osons le mot, existentielles. Parfois d’un égocentrisme assumé, Joann Sfar, dont la suractivité étourdit – cet été, il adapte le roman de Sébastien Japrisot, La Femme dans l’auto avec des lunettes et un fusil ; le très attendu tome 7 du Chat du Rabbin vient de paraître ; enfin, un tome 11 des Carnets, Je t’aime ma chatte, pour le 19 septembre – n’en reste pas moins juste, touchant et humain. On aime son côté immature, éternel petit enfant en quête d’amour et de tendresse ; on aime aussi son côté adolescent de 43 ans, fan ultime des top-modèles qu’ils « croquent » avec talent. On aime sa quête personnelle, mélange subtile de quête religieuse (malgré un athéisme affiché, l’album s’appelle Si Dieu existe) et de désir sexuel. On aime ce fantasme de la femme rabbin qui lui fait une proposition peu orthodoxe, partir à la découverte de son hétérospiritualité, ou qui peut prendre parfois les traits de Barbra Streisand, et qui, au-delà de l’aspect décalé, interroge, encore et toujours, l’auteur sur sa judéité.
L’art du carnet de bord est respecté à son maximum : dans un format moyen, sur du papier épais, entre phrases griffonnées et croquis sublimes, le lecteur finit par avoir l’impression de lire, avec ce qu’il faut de voyeurisme, le journal intime de l’auteur et se plaît honteusement à imaginer que oui, il est le seul et l’unique à entrer ainsi dans la vie de l’auteur. Faut-il en plus rappeler que Sfar est, littéralement, un dessinateur hors-pair, c’est-à-dire qu’il est unique dans son art. Plus qu’un dessin, son trait est une signature.
Ce bijou recèle de mille pépites où l’humour rencontre la réflexion : un beau moment d’intelligence.
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