La Tranchée est un long canyon de glace et c’est le seul endroit viable sur cette planète. En plus du froid, les dangers sont multiples et il existe des règles incontournables : la Tranchée pourvoit au nécessaire pour vivre ; il est interdit d’en sortir, car dehors, il n’y a que la mort; la Tranchée n’a pas de fin. C’est là que survivent Milliken, sa petite soeur Mae Mae et leur père Karl, au sein d’une toute petite communauté. Mais ce matin-là, les nouvelles ne sont pas bonnes : leurs proches ont été massacrés. Il faut fuir. Mais où ?

Jeff Lemire n’a pas son pareil pour construire des mondes un peu fous mais dans lesquels on arrive à croire en quelques pages. C’est le cas de nouveau dans cette histoire, dont le décor et le principe évoquent vaguement Le Transperceneige de Lob et Rochette, La Tour de Schuiten et Peeters ou Le Pistolero de Stephen King. Mais en scénariste malin, Lemire appuie sur le danger au bon moment, ajoute des éléments de SF qu’on n’attendait pas forcément, et joue à fond la carte psychologique. C’est la grande force de l’auteur de Le Labyrinthe inachevé, Descender, Essex County ou Trillium, et il creuse à nouveau quelques-uns de ses thèmes de prédilection : l’adolescence, le deuil et le rapport au père. Par un découpage limpide, des flashbacks bien sentis, des dialogues convaincants, il brode à la fois une métaphore de l’émancipation des ados (coincé sur une route droite dessinée par les adultes, les jeunes doivent faire leurs propres choix pour couper le cordon et arpenter leur propre chemin) et une aventure de SF horrifique haletante, même s’il on pourra trouver la résolution de l’intrigue un peu rapide. Peu importe ce petit défaut, l’ensemble est si bien conçu qu’on se laisse embarquer, d’autant que le trait râpeux et racé de Jock (Wytches) fait merveille dans cet environnement funèbre.