Par pur sadisme, elle parle à 200 à l’heure, et dit admirer ses élèves ou les journalistes qui transpirent en notant ses propos. Soph’ est à la fois professeur de français au collège et blogueuse à succès (révélation blog au Festival d’Angoulême 2008). Sa thématique de prédilection ? Les collégiens, une source de gags inépuisables et tordants. Surtout quand on a le regard cruel et un peu désespéré de la jeune titulaire. Les meilleurs extraits de ce blog viennent d’être réuni dans un album drôlissime : The Plus Beau Métier du Monde.

Vous avez une muse bien particulière : Émilie, dite « graine de génie ». Pourriez-vous nous la présenter ?
Sur mon blog, Les Toujours Ouvrables, qui est à l’origine de ce livre, j’écrivais des histoires sur l’une de mes élèves. Elle n’était pas particulièrement nulle, mais c’était la championne toutes catégories de la boulette. Les internautes sont devenus fans d’elle. Émilie est un amalgame de plusieurs élèves, et livre les meilleures bêtises qui peuvent sortir de leur bouche. Elle s’est imposée comme la vedette du livre. D’autant qu’elle me permettait de donner une unité à l’ouvrage.

Pourquoi avoir ouvert votre blog ?
Pour l’argent bien sûr ! Non, en fait, j’ai découvert le blog de Frantico et j’ai tout de suite aimé la simplicité du concept. Un strip par jour, court et marrant. Mais à l’époque, je n’avais pas Internet. Il a fallu que j’attende de devenir professeur pour être blindée de thunes – les profs ont de super salaires, comme chacun sait. Je me suis acheté un scanner pour publier mes illustrations sur le net et j’ai commencé à dessiner. Ensuite, les lecteurs se sont multipliés comme des petits gremlins !

Votre but est-il de parler du métier de professeur ?
Non, plutôt de faire marrer les gens. Mais je me suis retrouvée dans un collège tellement drôle que je me suis forcément servi de cette expérience. Il faut aussi dire que j’y passe une bonne partie de mon temps. Sinon, je parle de tout, je me moque de tout le monde, par exemple – et au hasard – des journalistes !

À vous lire, on désespère du niveau des élèves et on se demande si notre système scolaire peut y faire quelque chose…
Je ne vais pas raconter ce qui va bien ! Tout le monde se fout de Pierre-Edouard qui fayote et obtient de bonnes notes. Il est plus drôle de parler de Brandon, 17 ans, toujours en 6e, qui crie «Je nique ta grand-mère!». Mon objectif n’est pas de critiquer. Bien sûr, le ton est satirique, mais ma démarche n’est pas militante.

On a l’impression que vous aimez aussi peu l’école que vos élèves.
C’est vrai. J’ai rencontré un journaliste de l’Agence France Presse dont le premier métier était professeur. Il m’a dit aimer le blog parce qu’il ne véhiculait pas une image consensuelle des profs. Parfois, je mets même en scène des trucs terrifiants ! Notre métier est dur. Et les gens ne se rendent pas compte à quel point on se fait chier… pendant les vacances !

Votre blog a-t-il suscité des réactions violentes?
J’ai été attaquée par des gens pensant que je profitais de la misère intellectuelle de mes élèves pour me faire du fric. L’un m’a comparée à une morue séchée sous Xanax! Il disait qu’il trouverait drôle qu’un de mes élèves me prenne pour cible sur un blog. J’ai répliqué en créant un site tenu par des élèves. On le voit en 4e de couverture. Quand je me moque de mes collégiens, c’est du 15e degré. En fait, je reçois rarement des messages assassins. Et lorsqu’on me reproche d’être méchante, je réponds que, dans la vie, je suis pire.

Combien ce blog a-t-il de lecteurs?
Environ 3 000 par jour. Soit 1 million depuis son ouverture il y a deux ans. Le retour immédiat des lecteurs m’intéresse beaucoup. Tout suite, on sait si un gag les a fait rire ou s’ils n’ont rien compris. Et dans ce dernier cas, on leur demande de ne pas revenir !

Pourquoi faire un livre de ce blog?
Parce que je suis une saloperie vénale ! Non, en fait j’ai été contactée par un dessinateur du quotidien Le Parisien, Olivier Ranson, qui m’a dit que j’avais de l’humour – pour une fille – et qu’il ne serait pas surpris que je me fasse publier un de ces jours. Comme je suis un peu fainéante, j’ai continué à dessiner sans démarcher les éditeurs, mais avec le secret espoir qu’ils me contactent. Un de mes lecteurs en ligne travaillait pour les éditions Paquet. Il m’a proposé de rencontrer Pierre Paquet à Angoulême. Et voilà !

Vous avez retravaillé vos gags pour le livre.
J’ai tout redessiné, parce que les dessins du blog sont parfois vite faits. Il fallait aussi que je m’adapte au format. J’ai coupé les longueurs, reformulé des dialogues et ajouté des inédits. J’ai passé toutes mes vacances d’été à bosser dessus. Je suis la seule de l’Éducation nationale à avoir bossé en juillet-août ! Enfin, je vais finir par m’attirer les foudres de l’inspection s’ils apprennent que je fais des petits dessins au lieu de préparer mes cours…

C’est pourquoi vous écrivez sous pseudo ?
Oui, et puis j’ai tout de même un devoir de réserve envers mes élèves. Je n’ai pas envie qu’ils viennent lire mon blog en sachant que j’en suis l’auteure. Je serais alors obligée de me contenir.

Sur papier, vous ressemblez à Gaston Lagaffe dessiné par Reiser. Avez-vous vraiment un gros nez rouge ?
Disons que c’est ce que j’appellerais une « représentation métaphorique de moi-même ». En classe, je fais souvent le clown, alors je me suis affublée d’un nez rouge. Parce que c’est bien un nez de clown et pas un pif d’alcoolique, attention! Moi je ne carbure pas à l’alcool, mais au Xanax!

Propos recueillis par Allison Reber

Images © Paquet

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The Plus Beau Métier du Monde #1
Par Soph’. Paquet, 10 €, novembre 2008.
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