Sous les bombes sans la guerre
Pif le chien, incrédule, désemparé, erre parmi les vivants. Son père, Top, est à l’hôpital en phase terminale. Les sourires sont des rictus qui ne trompent pas, la cruelle réalité est bien là : la fin est pour bientôt. Inévitable, insondable. Il faut tenter d’objectiver la douleur, faire son deuil. Mais inexorablement, on s’écrase à tenter de résister, on plonge dans le noir avant de subir un déluge et de crouler sous le poids étouffant d’une douleur impossible à accepter…
Histoire d’un déluge intime, chronique d’une aliénation, Sous les bombes sans la guerre montre la fin de vie d’un père, rongé de l’intérieur par la maladie. À ses côtés, son fils (L.L. de Mars), dévasté par l’imminence d’une mort que l’on sait inévitable, arraché à ses repères de dessinateur. Perdu, désemparé, et même déraciné, sous les traits de Pif le chien (personnage créé en 1948 par José Cabrero Arnal pour le quotidien L’Humanité), L.L. de Mars (Comment Betty vint au monde, 3, Ressac, Dialogues de morts à propos de musique…) affronte des pluies d’obus métastasés, la mort carnassière, des flots de larmes et de sang. Son père, à l’apparence de Top (précurseur de Pif né en 1935), glisse lentement vers des abîmes insondables. Deux animaux à la dérive, embrumés par les réminiscences d’une relation qui s’efface avec le temps parricide.
Il faut d’ailleurs voir ces tentatives poétiques et désespérées de faire renaître le moribond par une nature orpheline. Dans une narration erratique qui se passe de mots, L.L. de Mars alterne grandes cases sans contours, tableaux fauvistes et illustrations inspirées de l’imagerie chrétienne, décrivant un chaos intérieur jusqu’à la mort, finalement libératrice. Le geste, viscéral, est une tentative de renouer avec le sens de la création et d’accepter l’indicible, à l’appui d’une culture populaire reformulée par un trait tantôt charbonneux tantôt conceptuel, montrant un artiste à l’aise dans toutes les registres figuratifs, entre totale improvisation et absolue maîtrise. Sous les bombes sans la guerre n’est donc pas moins qu’un râle d’écorché vif, sombre et déchirant, exacerbé par la dimension métaphorique du récit. À noter le très bel effort éditorial de Tanibis : grand format, couverture souple sous jaquette évidée par endroits, façonnage artisanal… Fond et forme se rejoignent dans un même élan créatif pour une expérience esthétique d’une force rare.
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