Southern Bastards #1
De retour pour affaires familiales à Craw County, son bled natal dans l’Alabama, le très droit Earl Tubb se retrouve mêlé à un règlement de comptes entre locaux. Lui qui s’était juré de ne faire que passer, accepte de se confronter à ceux qu’il avait justement voulu fuir 40 ans plus tôt.
Pour un peu, Earl, l’armoire à glace grisonnante de Southern Bastards, pourrait être un parent éloigné de Dash Bad Horse, le fougueux héros de Scalped, précédente création du scénariste star Jason Aaron. Même retour à contre-coeur au bercail pour les deux héros, mêmes souvenirs douloureux et même ressentiment intact contre la mentalité en vigueur sur place… Même habileté aussi à distribuer des mandales. Car Aaron est un homme de contact et, dans ses comics, on ne se tourne jamais très longtemps autour avant de se mettre sur la figure. Il faut dire qu’à Craw County, Earl ne manque pas d’ennemis, lui le fils de l’ancien shérif universellement honni. Et que le chef de la pègre locale et entraîneur de l’équipe de foot, une autre montagne de muscles vieillissante connue sous le nom de coach Boss, est une sacrée belle ordure flanquée d’une armée de bras droits bas du front. Aaron, lui-même originaire de l’Alabama, et son créateur, Jason Latour, originaire, lui, de l’Etat pas très lointain de la Caroline du Nord, connaissent parfaitement ce Sud rural rétrograde et raciste, et ont des comptes à régler. Au dessin, Latour ne fait pas de cadeau aux habitants de Craw County et organise un festival de gueules tordues, même avant que Earl ne vienne les cabosser un peu plus à coup de gourdin.
Cette saine colère qui anime les deux auteurs met immédiatement Southern Bastards à l’abri de tout soupçon de n’être qu’une « bourrinade » crapoteuse évocatrice des décennies 1970-80 et de ses hits limites type Un justicier dans la ville. Écrasé par le poids du passé et de l’hérédité, Earl s’inscrit moins dans la lignée d’un Charles Bronson que dans celle du Eastwood d’Impitoyable, magnifique figure de western vengeresse n’usant de violence qu’à regret et dont la croisade prendra même une teinte surnaturelle. Le coup de crayon hargneux de Jason Latour, qui pourrait laisser craindre un récit un peu brouillon, se trouve parfaitement cadré dans une mise en scène au cordeau et une mise en couleurs précise dont il s’est lui-même chargée. Sa palette de rouges pour convoquer le passé, notamment, donne un sacré cachet à ce premier tome. Et l’on peut faire confiance à l’autre Jason pour, passé ce prologue tonitruant, explorer Craw County sur la durée avec la même justesse que celle déployée dans Scalped à ausculter la réserve indienne de Pairie Rose, en accordant aussi la parole aux méchants. Et des méchants ce n’est pas ce qui manque dans le coin, apparemment : « Il y a encore plein d’autres bastards à découvrir », promet Latour. Chic.
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