Souvenirs d’Emanon
« Prendre son temps ». Tel pourrait être la devise de ce curieux personnage créé au début des années 1980 par le scénariste et romancier Shinji Kajio. Imaginez alors une jeune femme pour qui le temps ne s’écoule pas de la même manière que pour les autres humains. Dix ans ou dix minutes, c’est la même chose pour cette étrange vagabonde dont la mémoire se transmet au gré de ses réincarnations, de génération en génération… depuis 3 milliards d’années ! Véritable encyclopédie de l’histoire même de la vie sur Terre, Emanon se confie en 1967 à un jeune homme, lors d’une traversée en ferry. Ses questions sur le sens de sa vie, de ses souvenirs, vont alors assaillir son interlocuteur qui va tenter alors de répondre à l’impossible…
Kenji Tsurata (Spirit of Wonder, Forget Me Not, L’Île errante) a un rythme de travail plus proche de celui des Occidentaux que des Japonais. Ce qui le pousse à créer des récits aux dessins complexes et à la mise en scène cinématographique. Chaque plan semble être un instantané d’un film au découpage chirurgical. La précision du trait, son attention portée aux ambiances construisant son univers, font de chacun de ses livres une série de tableaux contemplatifs auxquels il ne manque que le mouvement. Souvenirs d’Emanon est ainsi une errance spirituelle sur une âme humaine en proie à l’immortalité. De son introspection pourrait naître la folie, mais Emanon recherche la paix de l’esprit. Sa conclusion aussi simple que touchante est une invitation à la simple détente, au plaisir de l’observation, aux rapports humains honnêtes mais parfois taquins.
Et pour quelle finalité ? Y a-t-il d’ailleurs une finalité au voyage d’une jeune fille qui pourrait être tout ce qu’elle veut, mais se contente de demeurer le témoin privilégié de la fugacité et de l’impermanence de la vie terrestre. Car la Terre était là bien avant nous, et elle le sera bien après nous…
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