Sport et BD, une sélection olympique
À l’occasion des Jeux Olympiques de Tokyo, BoDoï vous propose un petit panorama de BD et mangas autour du sport, sortis ces derniers mois. Du football aux sports de combat, des récits de compétition aux reconstitutions historiques en passant par des fantaisies étonnantes, la bande dessinée s’empare des disciplines sportives pour composer des histoires palpitantes ou évoquer le contexte social et politique en toile de fond.
Sélection réalisée par Hadrien Chidiac et Benjamin Roure
Marathon
Après avoir brossé de beaux portraits de pionniers du cyclisme (Le Tour des géants) et de l’alpinisme (L’Invention du vide), Nicolas Debon se penche sur le marathon, discipline olympique par excellence. Il nous emmène ainsi au coeur de la course de 42 km des JO d’Amsterdam en 1928, qui sera remportée contre toute attente par « un petit Arabe », El Ouafi Boughéra, ouvrier aux usines Renault et concourant pour la France, dans l’ombre des champions blancs.
L’auteur réalise ici un album audacieux et en tous points réussis, car il parvient à mêler récit historique, fable sportive et oeuvre plastique, au sein d’un one-shot tout en sensibilité. Les commentaires des journalistes apportent le contexte et les enjeux sportifs, ainsi que la nature du regard des hautes sphères sur cet Algérien dont on se moque ouvertement. Et puis, il y a la voix off, celle du conteur, de l’observateur introspectif du miracle de la course issu des efforts surhumains d’un petit homme courageux qui, par-delà la douleur, coiffa les champions finlandais ou japonais partis trop vite. Entêtante et vibrante, elle répond aux cases brossées telles des tableaux, à ces lignes tortueuses en mouvement, irradiant de rouge ou de bleu. Marathon est ainsi un choc esthétique et narratif, hyper sensitif, et surtout un superbe double hommage : à une épreuve sans pareille et à un athlète oublié.
Par Nicolas Debon. Dargaud, 19,99 €, le 25 juin.
Ao Ashi Playmarker
Par Yûgo Kobayashi, Mangetsu, 6,90 €, depuis le 26 mai (3 tomes déjà parus).
Ashito est un génie du foot et le pilier de son équipe. Toutes les passes lui sont dirigées, tous les bus inscrits de son pied. Malheureusement, le jeune garçon est aussi très impulsif : il n’a pas la langue dans sa poche et fait uniquement ce dont il a envie. Un trait de caractère qui le dessert comme lors de ce dernier match… où il finit sur le banc et fait perdre son équipe. Malgré tout, il tape dans l’oeil du très original coach des U18 de Tokyo Esperion FC, qui l’invite à participer aux sélections de J-League Junior, à Tokyo. L’aventure commence pour le jeune attaquant qui n’a jamais quitté son petit village de campagne.
Ao Ashi est probablement l’une des meilleures séries de sport du moment, récompensée en 2019 aux Manga Awards, l’un des plus prestigieux prix au Japon. À mi-chemin entre le shonen et le seinen, le titre alterne les séquences d’actions sportives et des moments plus intimes, plus profonds. Son héros, caractériel et déterminé, élevé par une mère célibataire sans le sou, attire la sympathie du lecteur dès les premières pages. Avec son graphisme léché et dynamique, on comprend qu’Ao Ashi soit déjà en route pour une déclinaison en animé.
Le Combat du siècle
Par Luca Ferrara (dessin) et Loulou Dedola (scénario). Futuropolis, 19 €, le 10 mars.
Joe Frazier cueillait du coton en Caroline du Sud quand il était enfant. Mais fan de boxe, il s’entraînait chaque soir, tapant dans un sac de jute chargé de briques et de chiffons. Pour devenir le meilleur. Ce qu’il réussit à faire, malgré une grave blessure à un bras, et ce à force de travail… et de souplesse politique, refusant de mélanger son sport et les revendications de la population noire dans les années 1960. À tel point que la rencontre au sommet, ce fameux « combat du siècle » contre Mohamed Ali en 1971 allait tourner à la tragédie politico-médiatique, avec un Ali illuminé et magnétique qui traita Frazier d’ « Oncle Tom », complice des Blancs et traître à son peuple.
C’est une biographie dense et distanciée – parfois un peu trop linéaire, peut-être, mais agréable à suivre – que composent Loulou Dedola (Jeu d’ombres) Luca Ferrara (Fela back to Lagos), qui mêle la trajectoire individuelle et le contexte politique, avec un peu de sport dedans et beaucoup de ramdam médiatique. Car la figure de Frazier, homme droit et pas anti-Blanc, a largement été écrasée par l’aura hors norme de Cassius Clay/Mohamed Ali. Cet album est donc aussi un hommage à celui qui fut champion olympique à Tokyo en 1964 grâce à une « gauche » tonitruante, et qui refusa d’endosser un costume de porte-parole politique, préférant porter des valeurs humanistes à une échelle plus modeste, loin des caméras obnubilées par son plus fameux adversaire.
Blue Lock
Par Yusuke Nomura (dessin) et Muneyuki Kaneshiro (scénario), Pika, 7,20 €, depuis le 2 juin (2 tomes parus).
Mondial 2018. L’équipe de foot japonaise a encore été éliminée, dès les huitièmes de finale. La fédération nationale décide de prendre le taureau par les cornes et crée le « Blue Lock », un centre de formation révolutionnaire. L’objectif du coach Jinpachi Ego, aux méthodes peu orthodoxes : détecter le meilleur des attaquants parmi l’élite lycéenne. Pour briller face à ses 299 rivaux, le jeune et inconnu Yoichi Isagi va devoir oublier le collectif et devenir individualiste.
Sorti quelques jours avant l’Euro de foot 2021, Blue Lock est un excellent shonen sportif. De l’action, des alliances, des rebondissements et des affrontements sous la forme d’un battle royal (les joueurs sont progressivement éliminés) dans un centre d’entraînement aux allures de prison, le tout rythmé par un graphisme dynamique… Ce titre séduira les fans de shonen, amoureux de foot ou non. Une façon originale de parler ballon rond, loin d’Ao Ashi ou du culte Captain Tsubasa.
Olympia Kyklos
Par Mari Yamazaki, Casterman, coll. Sakka, 8,45€, depuis le 17 mars (2 tomes parus).
Démétrios est un jeune peintre de la Grèce antique. S’il ne s’avère pas bon dans cet art, il excelle malgré lui dans le sport. Problème : il déteste le concept de compétition. Malheur à lui, le jour où il se retrouve mêlé à une querelle entre villages qui devra se solder par un affrontement sportif entre les meilleurs athlètes des cités voisines. Désespéré, le jeune homme se cache dans un vase géant… et se fait foudroyer aussitôt. Le Grec se réveille à Tokyo en 1964, années des JO nippons.
Olympia Kyklos est la nouvelle série de Mari Yamazaki. La mangaka reprend la recette qui avait si bien marché pour Thermae Romae : à savoir des sauts spatio-temporels et du burlesque. Démétrios va ainsi faire des aller-retour entre le IVe siècle et les années 60, découvrir le sport sous un nouveau jour et des coutumes qui lui sont totalement étrangères. Une excellente comédie sportive (lire notre critique complète ici).
La collection Coup de tête
Lancée l’an dernier, la collection Coup de tête des éditions Delcourt, est dirigée par le scénariste Kris, auteur d’Un maillot pour l’Algérie qui, bien que publiée chez Dupuis, en résume l’esprit : parler d’événements historiques par le prisme du sport, mettre en scène des histoires vraies, parfois méconnues, parfois plus proches de nous, et dont une discipline ou un événement sportif se situe au coeur.
C’est le cas du palpitant Croke Park, par Sylvain Gâche et Richard Guérineau, qui revient sur le premier « bloody sunday » irlandais, à savoir le massacre de civils (14 morts, des dizaines de blessés) dans un stade de football gaélique, par des soldats anglais cherchant des membres de l’IRA coupables de l’assassinat d’espions anglais dans les heures précédentes. Un bain de sang de 1920 mis en parallèle avec un match de rubgy de 2007, dans la même enceinte.
Autre album intéressant, malgré une mise en scène plus linéaire, Jujitsuffragettes, de Clément Xavier et Lisa Lugrin (auteurs du chouette Yekini le roi des arènes, sur une forme de lutte africaine) : le récit de la lutte pour les droits politiques des femmes anglaises dans les années 1910 et de leur apprentissage du jujitsu, pour se défendre contre la très rude répression policière durant les manifestations.
Enfin, le dernier sorti, en lien avec l’Euro 2021, est Mon album Platini, dans lequel l’historien Sylvain Venayre (sous le dessin de Christopher) se met en scène à refaire le match, ou plutôt les matches : le drame du Heysel en 1985 ; la France Black-Blanc-Beur de 1998; et surtout l’attentat de Shumacher contre Battiston à Séville, lors de la Coupe du monde 1982. À travers un dialogue imaginaire et fleuri avec Michel Platini, Thierry Roland et même Sigmund Freud, Sylvain Venayre évoque le contexte historique des différentes époques, la question du racisme, de la violence, mais surtout son rapport intime à un spectacle sportif et médiatique puissant, ce football flamboyant qui a nourri son enfance et son adolescence. Une démarche étonnante, qui n’intéressera QUE les fans de foot, et surtout ceux de la « génération Séville 1982″ (et bien moins celle des Zidane/Thuram ou des Griezmann/Mbappé).
Mon album Platini par Sylvain Venayre et Christopher. Delcourt, 21,90 €, le 21 avril.
Jujitsuffragettes, de Clément Xavier et Lisa Lugri. Delcourt, 21,90 €, le 30 septembre 2020.
Croke Park, par Sylvain Gâche et Richard Guérineau. Delcourt, 21,90 €, le 30 septembre 2020.
L’Appel des montagnes
Par Tetsuo Utsugi, Soleil manga, 7,99€, depuis le 14 avril.
Le club d’alpinisme de l’université Santama ne compte que trois membres et doit désespérément en recruter de nouveaux s’il ne veut pas disparaître en cette rentrée scolaire. De jeunes filles, novices, se présentent… mais ne sont pas convaincues, effrayées notamment par le challenge physique que représente cette activité. Charge au trio du club de les séduire, s’ils ne veulent pas dire au revoir à leur club, leur matériel et leur passion.
On compte quelques mangas de référence sur l’alpinisme et l’escalade, tels que Le Sommet des dieux, Ascension ou encore Vertical, traité le plus souvent de manière sérieuse. L’Appel des montagnes fait le choix d’un traitement plus léger, tant dans le ton que dans le trait, à mi-chemin entre le seinen et le shojo. Les personnages, un peu cliché par moment, n’en restent pas moins attachants. On espère que la suite de la série mettra un peu plus en avant le potentiel graphique des Alpes japonaises. Une bonne série à suivre ! (lire notre critique complète ici)
Blitz
Les échecs, un sport? Un sport cérébral, à coup sûr, et une belle discipline de compétition, exigeant une concentration sans faille, une fine analyse stratégique, une capacité de réaction importante et une vraie endurance. C’est ce que met en avant cette sympathique série jeunesse, manga imaginé par le Français Cédric Biscay et développé avec des artistes japonais. Et parrainé par la légende du jeu d’échecs, Gary Kasparov.
Le point de départ est simple : Tom, un collégien un peu marginal, finit par s’inscrire au club d’échecs de son établissement, où s’épanouit la jolie et très douée Harmony. Par un coup de pouce du destin, notre jeune héros va progresser de manière spectaculaire dans son apprentissage des échecs et participer à ses premières compétitions…
Par une mise en scène efficace et un dessin plutôt rond et très lisible, ce manga réussit à captiver autour d’une discipline a priori ascétique, en multipliant les portes d’entrée sur les parties et les compétitions. Notamment dans la tête de Tom, qui s’imagine guerrier légendaire affrontant d’autres chevaliers dans un duel épique, toutes lames dehors. L’idée fonctionne bien et permet d’insuffler un peu d’action autour d’un plateau statique, mais les auteurs n’en abusent pas pour autant, trop respectueux de l’esprit des échecs. L’équilibre entre « action », comédie collégienne et démarche pédagogique autour du jeu est donc rapidement trouvé.
Par Cédric Biscay, Tsukasa Mori, Harumo Sanazaki et Daitaro Nishihara. Iwa, tome 4 en juin 2021, 7,95 €.
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