Stéphane Melchior-Durand se frotte à « Gatsby le magnifique »
Publié en 1925 par Francis Scott Fitzgerald, Gatsby le magnifique s’est forgé une place dans l’imaginaire collectif via son adaptation au cinéma par Jack Clayton en 1974, avec le magnétique Robert Redford dans le rôle-titre. Pas effrayé par ce monument, Stéphane Melchior-Durand s’est attelé avec le dessinateur Benjamin Bachelier à son adaptation en bande dessinée. Le résultat est à la fois sobre, intelligent et graphiquement éblouissant. Entretien avec le scénariste, auquel on doit aussi Raiden ou Hécate et Belzébuth avec Loïc Sécheresse.
Pourquoi vous attaquer à Gatsby ?
Ce roman m’a fasciné assez tôt. Je l’ai pourtant d’abord découvert au cinéma, adolescent. Robert Redford offrait une belle incarnation du personnage, dans un film captivant. Mais je n’avais pas aimé son couple improbable avec Mia Farrow, que je trouvais très agaçante. J’ai ensuite lu le livre, qui m’a procuré un choc : c’était pour moi une vraie découverte du monde des adultes. Cette d’histoire d’amour illusoire, compliquée, et qui se termine mal m’apparaissait très subtile.
Comment êtes-vous venu à l’adapter en BD pour Gallimard ?
L’idée me trottait dans la tête depuis un moment. Quand les droits se sont libérés, il y a un an et demi, la presse a publié plusieurs articles, notamment sur les nouvelles traductions — chaque maison d’édition voulait publier “son” Gatsby, et des écrivains comme Frédéric Beigbeder ou Julie Wolkenstein s’en sont emparé, provoquant des débats passionnants. J’ai relu le roman, et j’ai naturellement proposé ce projet à mon éditeur habituel.
Pourquoi transposer le New-York des années 20 en Chine ?
Cette ambiance des années folles — la petite coiffe à la garçonne, les plumes, le jazz, les fêtes… —, qui a tellement marqué le film avec Redford, m’est apparue comme un repoussoir. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, Fitzgerald y fait très peu allusion dans son livre. Je n’ai donc pas voulu utiliser ce filtre déformant. Pour moi, Gatsby est avant tout une histoire d’amour, une quête extraordinaire et un malentendu terrible. J’ai donc voulu remettre en avant la dimension humaine et psychologique du récit, les personnages plutôt que l’époque. J’ai repris le texte original, afin de sortir des traductions françaises et revenir à la source. J’ai d’abord pensé à installer l’intrigue dans l’Amérique contemporaine, mais cela ne me paraissait pas assez convaincant. J’ai cherché comment décaler les choses : quelle ville en pleine expansion pouvait faire songer au New-York des années 1920 ? Mon demi-frère plasticien m’a ramené des photos de Shanghaï, où il était allé. Et ça a fait tilt ! Une mégalopole située sur le littoral, en pleine reconstruction, au développement économique sans précédent… On y trouve même d’imposantes demeures anglo-normandes bâties par des Européens, comme sur la Côte Est des Etats-Unis.
Quels choix scénaristiques avez-vous faits pour cette adaptation ?
J’ai absolument tenu à restituer la voix du narrateur, Nick Carraway — même si mon éditeur doutait au départ de la pertinence de ce dispositif, que je trouvais pour ma part magnifique. Gatsby est le héros, il se sert de Nick pour atteindre Daisy, son grand amour. J’ai tenté de fouiller avec pudeur la dimension homosexuelle de Nick. Ce travail d’adaptateur m’a permis de me prononcer sur des personnages qui m’ont toujours semblé très mystérieux. Ce fut un bonheur !
Quelles difficultés avez-vous rencontrées ?
J’ai surtout peiné à restitué les extraordinaires fêtes données par Gatsby. Il y a toujours ce cliché — lié au film — du jazz, du charleston, de l’alcool qui coule à flots… Or ce qui marque dans le roman, c’est plutôt la description de la bonne société locale, ou de l’empilement de voitures sur un parking. Rien de bien passionnant à mettre en scène ! J’ai donc cherché une astuce : si, comme Gatsby, j’avais aujourd’hui des moyens financiers illimités, comment m’y prendrais-je pour attirer Daisy à une soirée ? J’ai pensé à des effets spéciaux qui auraient pu être imaginés par le réalisateur James Cameron, à des hologrammes de poissons circulant entre les convives. Restituée par Benjamin Bachelier, l’idée a généré une image saisissante, qui a fonctionné au-delà de mes espérances. Au début, Benjamin avait dessiné des créatures inquiétantes. Je lui ai alors demandé de corriger le tir, d’introduire de la féérie et de la douceur. Il a obtenu un magnifique ballet !
À quel moment avez-vous songé à Benjamin Bachelier pour dessiner votre Gatsby ?
Très rapidement. Je l’avais rencontré sur un stand lors d’une séance de dédidaces, et lui avais proposé de travailler avec moi pour une semaine spéciale du feuilleton numérique Les Autres Gens, à l’invitation de Thomas Cadène. Son trait romantique, sensuel et doux m’avait emballé.
Vous êtes-vous beaucoup documenté pour préparer cette adaptation ?
J’ai visionné une adaptation cinématographique de 1949, avec Alan Ladd. Figurez-vous qu’il existe même un film muet réalisé en 1926, mais qui a été perdu ! Il n’en reste que la bande-annonce. J’ai découvert tardivement que Baz Luhrmann préparait sa propre version, avec Leonardo DiCaprio [qui fera l’ouverture du Festival de Cannes 2013]. Et je l’ai vue comme une gêne plutôt qu’un avantage : comment lutter contre les moyens d’un film hollywoodien ? Avec Benjamin, nous avons beaucoup parlé du livre avant de travailler, nous avons échangé des photos de Shanghaï, regardé des films comme In the mood for love de Wong Kar-Wai ou The Housemaid de Im Sang-soo.
Pourquoi avoir gardé les noms anglo-saxons des protagonistes, en leur donnant des caractéristiques physiques asiatiques ?
Je voulais conserver le cadre de la mondialisation actuelle, et une certaine ambiguïté. Nous donnons très peu d’indications géographiques : on sait que l’on est à Shanghaï grâce à deux occurrences discrètes — un plan de la ville et des prévisions météorologiques.
Quels sont vos projets ?
Gallimard m’a proposé d’adapter À la Croisée des mondes de l’Anglais Philip Pullman, avec Clément Oubrerie au dessin. Pour l’instant, trois tomes sont prévus, mais si cela fonctionne la série pourrait compter une dizaine d’albums. L’oeuvre originale est très complexe, et possède de multiples niveaux de lecture : c’est à la fois un conte, montrant une petite fille sur les traces de son oncle et d’une femme étrange, et une féérie philosophique. L’héroïne cherche en fait son père et sa mère, et veut tuer Dieu. Le propos est audacieux, très fort. Je m’intéresse aussi de près à la BD numérique. Je me suis abonné aux revues qui viennent de se lancer, et j’envisage une collaboration. Enfin, en animation, je viens de terminer l’adaptation de Lanfeust pour M6. Et j’ai toujours en cours une vingtaine ou trentaine de projets, que je laisse mûrir…
Propos recueillis par Laurence Le Saux
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Gatsby le magnifique
Par Benjamin Bachelier et Stéphane Melchior-Durand.
Gallimard, 18€, le 10 janvier 2013.
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Images © Gallimard.
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J’ai adoré la trilogie de Pullman, mais, même si l’adaptation bd par deux talents et en plusieurs tomes est bien plus prometteuse que l’adaptation ciné qui a été faite, je n’ai aucune envie de lire une adaptation bd de ces trois très beaux romans. Pour tout dire, je ne vois guère l’intérêt des adaptations, de manière générale, surtout quand le premier support est si réussi.
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