Stop work – Les joies de l’entreprise moderne
Certains le qualifieraient gentiment de « cadre à l’ancienne », d’autres, moins gentiment, de « connard de droite ». Il faut dire que Fabrice Couturier, ambitieux cadre du service achats chez Rondelles SA, fait durer les déjeuners arrosés avec des fournisseurs qui lui graissent la patte, ne rend service que si ça peut le faire bien voir du big boss, et passe ses soirées de père de famille à regarder des vidéos pornos devant son ordinateur. Le genre de mec qui entre dans le bureau du représentant de la CGT en lançant un « Bon alors, on en est où niveau révolution? », et n’en finit plus de se moquer de sa collègue végane. Sauf qu’il a largement surestimé ses chances de promotion, et largement sous-estimé le pouvoir de nuisance du service EHS (environnement, hygiène et sécurité), toute-puissante machine à fabriquer des réglementations infantilisantes (« La Stasi qui rencontre la Nasa »). Alors, quand le plan de carrière et le quotidien bien réglé de ce costard-cravate bourru commencent à dérailler, ce petit quelque chose qu’on pressentait en lui prend le dessus : l’envie de défendre ce qu’il croit juste et bien. Et voici Fabrice Couturier, à la trogne malgré tout bien sympathique, entré en résistance.
Très bien mené, ce récit de Jacky Schwartzmann pointe avec ironie et justesse la course aux « process » et les méthodes managériales déshumanisantes, emballées dans du vocabulaire abscons, qui se vendent comme bienveillantes, particulièrement à travers le concept de « presque accident » comme vecteur de la politique hygiène et sécurité. Il est porté par le talent de dialoguiste de l’auteur et une galerie de personnages réussie, affûtée par le trait souple et expressif de Morgan Navarro (Teddy Beat, L’Endormeur…) et une mise en couleur à la légèreté efficace. Le rythme insufflé par le quotidien répétitif de l’entreprise, incarné chaque soir par les discussions des deux personnels de nettoyage, ajoute à la fluidité de l’ensemble.
Le personnage principal, beauf patenté aux aspirations de rébellion, se révèle étonnamment attachant. Si une ou deux ficelles sont un peu trop grosses pour cadrer dans le tableau, l’album, qui aurait peut-être mérité un meilleur titre, offre avec beaucoup de cohérence et d’humour une vision tristement actuelle du management d’entreprise.
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