Sukkwan Island
Jim est conscient d’avoir raté sa vie. S’il est prompt à le mettre sur le dos des femmes – la mère de ses enfants et sa seconde compagne –, il sait que son manque d’empathie, ses crises de colère et son instabilité affective et mentale sont les raisons de son échec. Ce dentiste en perdition décide de partir s’isoler sur une île déserte d’Alaska, où il a acheté une bicoque. Et il invite son fils Roy à passer ces quelques mois d’automne et d’hiver avec lui.
Pas simple d’adapter le best-seller de l’Américain David Vann, prix Médicis étranger en 2010. Car ce huis-clos dans la nature sauvage, entre un père brisé et son fils plein de ressentiment vis-à-vis de cet homme qui l’a abandonné, est un récit tout en tension, silences pesants et ambiances humides et froides. On pense parfois à La Route de Cormac McCarthy. Le jeune Ugo Bienvenu, formé à l’animation, signe là un très beau travail pour sa première bande dessinée. Avec un trait fin, précis et très intelligemment hachuré, il propose une immersion fascinante dans le quotidien morne et dur de ces deux hommes qui se cherchent, l’un après avoir gâché sa vie d’adulte et de père, l’autre à l’aube de se construire la sienne. L’influence d’un certain pan du manga (on croit même parfois voir un visage sorti de chez Taniguchi) est criante dans le travail de Bienvenu, davantage dans l’intelligence des cadrages et l’expressivité du noir et blanc que dans la mise en scène et le découpage, classique voire austère. Petit défaut, tout de même, mais inhérent à l’exercice d’adaptation : là où un bon roman peut sublimer de longues scènes répétitives (couper du bois, pêcher, partir à la chasse…), la BD souffre parfois de la monotonie des situations. Mais malgré ce petit écueil, l’album reste puissant et maîtrisé. Et fait un bon candidat pour le prix Révélation au prochain Festival d’Angoulême.
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