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Sur la route avec Éric Cartier

4 janvier 2016 |

DSC00240Loin des clichés, Éric Cartier revient sur ses road trips de la fin des années 70 aux États-Unis. Dans Route 78, il livre une image sensible, profonde de ses années de jeunesse, loin de tout angélisme hippie, au coeur d’une Amérique oubliée, loin du rêve hollywoodien. Rencontre avec un homme qui se définit à la marge – et non marginal – pauvre et heureux.

Êtes-vous toujours le gamin de 20 ans de Route 78 ?

Je suis toujours le même ! Je me pose toujours les mêmes questions sur la vie, sur le dessin, sur la bande dessinée… À travers ces anecdotes, je me livre, moi, mais surtout je raconte des sensations, des impressions. Se rappeler, c’est bien, mais recréer les sensations, c’est ce qui m’intéressait. Route 78 raconte un voyage qui, en fait, est la combinaison de trois. J’ai mis dans un seul volume les meilleures sensations des trois. Par exemple, je ne me rappelle pas lors de quel voyage nous avons assisté au concert de Grateful Dead, mais ce n’est pas l’important, ce sont les sensations que cela nous a procurés qui priment. route-78_pat

Et puis, petit à petit, je me suis aperçu de deux choses : j’ai écrit cet album lorsque mes jumeaux ont fêté eux-mêmes leurs 20 ans, et cette histoire n’est pas un recueil de mes souvenirs mais un travail sur ma relation avec la femme avec qui j’ai fait ma vie, Patricia. Cela donne beaucoup de sens. C’est un livre sur l’amour, sur mon amour pour Patricia. Le livre montre que ce n’est pas toujours facile, qu’on doit parfois être courageux pour l’autre. Comme elle l’a été pour moi.

Cet album rompt avec votre univers artistique.

C’est vrai que mon créneau était celui de l’humour, du cartoon, comme avec Diego. Mais c’était une porte d’entrée, ma porte d’entrée dans le dessin. Pourquoi changer maintenant ? Pourquoi un ouvrage autobiographique maintenant ? Cette orientation est née de ma rencontre avec la scénariste Audrey Alwett, à Aix, à l’occasion d’un atelier. C’est une fille extraordinaire : entre nous, c’était un mélange d’incompréhension – elle vient d’un univers visuel plutôt gothique – et de fascination ; son regard est malin, critique ; son discours est classieux, elle a su trouver le rythme pour raconter mon histoire. Et quelle patience avec moi ! Elle a compris la musique que j’avais dans la tête. Elle a remonté le niveau littéraire. Pour le dessin, j’ai choisi de tendre vers la bichromie, mais j’ai refusé le côté simpliste. Les couleurs sont de Pierrot, un ami illustrateur. Son travail est formidable et l’album lui doit beaucoup. Tous les trois, nous venons d’univers différents, c’est le partage que nous avons en commun.

route-78_dollarVous semblez avoir vraiment trouvé votre trait avec Route 78. Comment créez-vous ?

Je pense d’abord à ma séquence, puis après je crayonne. Le premier jet est toujours faux ! Je réfléchis à la façon de « poser ma caméra ». J’utilise beaucoup le paysage dans ma narration. C’est l’idée de perspective narrative développée par Winsor McCay au début du XXe siècle – un auteur qui m’a toujours beaucoup inspiré. J’ai également emprunté au langage cinématographique, mais la BD apporte un équilibre dans les pages, dans la composition. J’ai monté mon niveau de dessin car je me collais au réel, à l’émotion de mes souvenirs. Ces sentiments m’ont aidé à aller chercher les détails.

Route 78 transmet-il un message ? Que dit-il du couple ? De votre couple ?

L’ouvrage s’interroge peut-être sur comment gérer sa « rebellitude »… On utilise souvent la colère comme justification à notre mal-être, mais la meilleure des révoltes c’est d’être heureux ! Les recettes ? Le respect, le contrat moral dans le couple, ne jamais s’engueuler… ça marche ! Enfin, s’engueuler, ça arrive, mais éviter de dire des mots que l’on regrettera. Par rapport à Patricia, il me fallait éviter à tout prix la désinvolture dans les propos. Elle n’a pas lu le bouquin au moment de la création. Du coup, elle ne savait pas que j’aborderais des choses si intimes, mais je ne voulais pas mentir sur la sincérité de l’émotion. Elle l’a lu et puis elle m’a dit : « Ah bon, tu m’aimes alors ? »

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Et pour les générations actuelles ? Pour vos jumeaux ou pour tout jeune couple qui voudrait « prendre la route » ?

route_78_couvS’il s’agit de mes jumeaux de 20 ans, l’un est un peu gêné par cette vie « en marge » décrite dans la BD ; l’autre est plutôt dans la revendication, cela doit peut-être moins le gêner. Mais je me dis que ce récit peut les porter, car il fait partie de notre histoire familiale, même si c’est une période qui les a précédés. Pour ceux qui veulent se lancer dans l’aventure, j’ai confiance. Même si le monde est plus petit, malgré la mondialisation, et peut-être aussi plus effrayant. Quand on voyage, on part, on est où on veut. On se découvre en voyageant. On découvre l’autre aussi. L’important, c’est de s’approprier le monde.

Propos recueillis par Marc Lamonzie

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Route 78.
Par Éric Cartier et Audrey Alwett.
Delcourt, 19,99, mars 2015.

Images © Cartier/Delcourt – Photos © Marc Lamonzie pour BoDoï

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